L’Institut des hautes études de la protection sociale (IHEPS) a dix ans. Pour fêter cet anniversaire, son président, l’ancien ministre de la Santé, Claude Évin, avait choisi d’organiser un colloque sur le thème des solidarités dans l’amphithéâtre Pierre Laroque du ministère des Solidarités et de la Santé de la Santé.
Pour ouvrir les débats, l’ancien ministre Jacques Toubon, aujourd’hui Défenseur des droits a rappelé que 40 % des réclamations qui lui parvenaient portent aujourd’hui sur des questions de relations entre les assurés et leur caisses. « Nous sommes un peu les défenseurs des droits sociaux ». Dans un pays qui a choisi de faire jouer aux services publics « un rôle d’intégrateurs civiques », le vecteur des solidarités est primordial. À condition que tous les citoyens aient accès aux mêmes droits. Or, selon Jacques Toubon, plusieurs facteurs entravent l’accès aux services publics fondamentaux : des « solidarités perturbées par la pauvreté ; des solidarités contestées avec l’augmentation des prélèvements obligatoires : des solidarités réclamées quand il faut apporter des réponses à des risques nouveaux [...] Cette évolution alimente un sentiment diffus et dangereux d’un fossé qui se creuse entre les services publics et les citoyens, cette évolution sapant alors l’exigence de solidarité ».
Le danger d’une telle situation c’est le non accès aux droits. Soit qu’il y ait non recours parce que l’administration ne répondant pas aux usagers, « les plus faibles baissent les bras abandonnant leurs démarches ». Soit parce que les règles de droit sont si complexes qu’elles en deviennent incompréhensibles. Daniel Lenoir quand il était directeur de la Cnaf expliquait qu’il devait « appliquer 30 000 textes différents », ce qui exerçait un effet dissuasif sur les agents. Soit parce que les administrés se trouvent en situation d’inégalité « face à une dématérialisation/numérisation qui laisse sur le bord de la route entre 25 et 30 % des citoyens qui ne sont pas des seniors » [1], le problème n’étant pas alors de s’occuper des 70 % qui sont agiles, mais des 30 % qui doivent être accompagnés. Alors, oui aux Maisons de services publics. Oui à la reconnaissance d’un droit à l’erreur (article L 114 17 du Code de la Sécurité sociale). Et au final cet avertissement aux pouvoirs publics : « attention à ce que l’évanescence des services publics ne contribue pas à aggraver les phénomènes d’exclusion, d’éloignement de la République et de rupture des inégalités ».
L’éducation des jeunes enfants comme réponse aux inégalités
Globalement la sécurité sociale a bien tenu ses engagements face à l’exigence de solidarité. Bruno Palier, directeur de recherche du CNRS à Sciences Po en fait le constat. Mais il note aussitôt que les bons résultats enregistrés sur les trois grands risques n’ont pas évité l’apparition de nouvelles inégalités intergénérationnelles correspondant à de nouveaux enjeux, notamment en matière d’éducation et de famille. « 19 % des enfants nés vivent aujourd’hui dans des familles monoparentales. Or, le taux de pauvreté dans ces familles est trois fois plus élevé que dans les familles avec deux parents. Et ce taux de pauvreté est trois fois plus élevé chez les jeunes que chez les personnes âgées ». À cela s’ajoutent des inégalités en matière de santé reposant sur des inégalités territoriales, de revenu et de niveau de qualification. Quant au système éducatif, il reproduit les inégalités, mais ne sait plus les réduire. Pour Bruno Palier il faut donc procéder à un nouvel investissement social au motif que « si on ne paie pas pour les jeunes aujourd’hui, ils ne paieront pas pour les vieux demain ». Partant de là, « les femmes et les enfants d’abord », l’urgence est d’investir « dans de nouveaux services et dans le capital humain ». D’où la nécessité pour la petite enfance de mettre en place « un accueil de qualité et collectif » qui permettra aux deux parents de travailler, qui fournira des emplois et qui permettra d’investir dans les capacités cognitives des enfants pour leur éviter des retards dont ils auraient à subir les conséquences le reste de leur vie.
’Nous savons ce qu’est un vieillissement non préparé’
Cancérologue, députée, ministre en charge des personnes âgées et de l’Autonomie dans le gouvernement de Jean-Marc Ayrault, Michèle Delaunay fait la différence entre le vieillissement qui a toujours existé et ne pose pas de problème et la longévité qui répond à une situation nouvelle. Née en 1947, elle souligne que pour la première fois dans notre histoire, sur 24 millions de naissances enregistrées dans la période du baby-boom, 20 millions de personnes de cette génération « rencontrent aujourd’hui la longévité ». C’est un enjeu qui n’existait pas au XXe siècle, d’ailleurs le terme ’d’aidant’ n’est apparu qu’au tout début du XXIe siècle.
Les contraintes nouvelles liées à la longévité ont été traitées dans la loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement du 14 décembre 2015. Elles introduisaient le droit au répit pour les aidants, Michèle Delaunay se disant hostile à un statut qui « rigidifierait un ordre naturel dans lequel les femmes aident leurs enfants ou leurs parents ». En revanche, elle se prononce pour la professionnalisation d’un gisement de quelque 300 000 emplois dont l’attractivité passe par la revalorisation salariale. De la même façon elle souhaite que les entreprises s’ouvrent à cette problématique nouvelle en aménageant les conditions de travail de ceux qui doivent donner de leur temps pour accompagner les personnes lourdement dépendantes dont le nombre 1,4 million en 2025) doublera d’ici à 2050. Pour autant, Michèle Delaunay s’inscrit dans une démarche optimiste : « Notre génération a connu le plein emploi et a rencontré des progrès spectaculaires en terme de progrès économique et de longévité [...] Nous sommes devenus des experts de la longévité car nous sommes la première génération à avoir accompagné nos parents dans leur vieillissement. Nous savons ce qu’est un vieillissement non préparé. Sur le plan de la prise de conscience, c’est un atout considérable [...] Personnellement je pense que le vieillissement se prête à un retour vers des solidarités de proximité. La longévité sera une chance et un moyen de se retrouver ».
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