Jean-Paul Lacam, directeur général du Centre technique des institutions de prévoyance (CTIP) et son directeur prévoyance et retraite supplémentaire, Bertrand Boivin-Champeaux, ont présenté ce mercredi 19 juin les résultats 2018 des institutions de prévoyance. Globalement, ils sont marqués par une grande stabilité et une consolidation du secteur. Deux chiffres illustrent le propos : un chiffre d’affaires de 13,4 Mds € et une marge de solvabilité de 312 %.
Ces données recouvrent toutefois des évolutions contrastées. En santé, il se confirme que les IP n’ont pas tiré profit de la généralisation de la complémentaire santé entrée en vigueur en 2016. En revanche, pour préserver leurs parts de marché, elles ont tiré au maximum les prix et, selon Jean-Paul Lacam, ’les marges de manœuvres sont inexistantes’. Globalement, avec des cotisations se montant à 6,6 Mds €, la santé est en recul de - 1,4 %. La baisse des garanties sur les contrats responsables, l’encadrement des honoraires, la pression concurrentielle, la nécessité d’être attentif aux équilibres techniques, mais aussi des prestations en hausse de + 1,5 % (12,4 Mds €) expliquent ce résultat mitigé. Concrètement, les IP qui ont versé 85 € de prestations pour 100 € de cotisations (le taux moyen du marché selon la Drees est de 79 €), affichent une rentabilité médiocre, dont témoigne un ratio combiné [1] ressortant à 101 %.
La prévoyance a plutôt mieux résisté avec un chiffre d’affaires stable (5,9 Mds € de cotisations), mais là aussi des résultats contrastés. L’allongement de la durée de la vie active pèse sur les arrêts de travail (4 Mds € et une hausse de + 4,6 %) alors que l’allongement de l’espérance de vie entraîne une moindre progression des charges du poste décès et rentes (1,8 Ms € et + 2,5 %).
Quant à la retraite supplémentaire, elle progresse de + 7,7 % d’une année sur l’autre mais avec un point de départ de seulement 0,9 Mds € essentiellement sous forme d’épargne d’entreprise et d’indemnités de fins de carrière.
D’innombrables incertitudes
Au-delà des chiffres, d’importantes questions se posent dans un secteur qui s’interroge sur son statut de ’complémentaire’ quant on lui ’impose’ de faire le 100 % santé ou quand on le traite en ’collecteur d’impôts’. De fait, Bertrand Boivin-Champaux rappelle qu’entre 2008 et 2018 la fiscalité sur les contrats collectifs a augmenté de + 18,4 %, soit + 1,84 % par an et, qu’au final, le prélèvement fiscal opéré sur une cotisation de 100 € se monte à 37 €. Dans un tel contexte, les IP ont eu bien du mérite de s’impliquer dans le recul du reste à charge des ménages de - 0,4% par an ces dix dernières années, alors que la consommation de biens et de soins médicaux, financée par la sécurité sociale, progressait de + 2,4 % par an. Faut-il alors s’étonner si les résultats des IP sont en baisse constante depuis dix ans et s’ils sont au rouge depuis 2017 (- 196 M € en 2018) ?
L’État continuera-t-il à financer ses projets sociaux par un recours accru à l’impôt ? C’est un premier sujet d’inquiétude auquel s’ajoutent beaucoup d’interrogations. Ainsi sur le reste à charge zéro, même si personne ne s’oppose par principe à une réforme qui a ses raisons d’être, personne ne sait ce que feront des IP coincées entre leur engagement de ne pas majorer leurs tarifs et l’obligation que leur fait solvabilité 2 d’équilibrer leurs comptes. À terme l’augmentation des cotisations n’est-elle pas inéluctable ? Dans le domaine de la santé, tant de chantiers sont ouverts, tant de discussions sont en cours avec les professionnels du secteur, tant de lignes sont en train de bouger que, là encore, les complémentaires ont aujourd’hui du mal à imaginer ce qui leur sera suggéré, demandé, voire imposé. Cela vaut pour la dépendance, dont la réforme est annoncée pour la fin de l’année, mais aussi pour la retraite, les incitations à partir plus tard pesant sur les dépenses de prévoyance et pour la retraite supplémentaire bousculée par la loi Pacte.
À cela s’ajoutent les sujets qui reviennent comme les radis. Jean-Paul Lacam et Bertand Boivin-Champeaux insistent à juste titre sur les mérites des contrats collectifs d’entreprise qui permettent de peser sur les coûts de gestion et sur les cotisations et demandent - c’est un leit motiv - qu’au-delà de simplifications administratives toujours bienvenues, se mette en place une plus grande stabilité réglementaire et que soient pris des engagements de très long terme. Et puis il y a les questions dont on ne parle pas ou en privé. Ainsi, des difficultés rencontrées par les plus grands groupes de la place pour faire cohabiter en leur sein des acteurs de la complémentaire aux cultures différentes (AG2R La Mondiale et Matmut), ou pour gérer de graves sinistres dans la prévoyance collective (Humanis) en s’émancipant d’une gestion paritaire, dont les acteurs eux-mêmes semblent parfois douter du bien fondé. Bref, si le bilan 2018 peut être considéré comme satisfaisant, les mois qui viennent ne seront pas pour les IP un long fleuve tranquille dans un monde où la volonté politique vise à asseoir la protection sociale collective sur des bases de moins en moins professionnelles et de plus en plus universelles.
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