La France consacre 28 % de son PIB à ses dépenses de protection sociale, soit la moitié de ses dépenses publiques. Si l’on ajoute à cela que l’assurance maladie prend en charge 78 % des dépenses de santé des Français et que le taux de pauvreté des retraités est de 8 % à comparer avec un taux de 14 % pour le reste de la population, on ne peut que le constater : notre pays figure « dans la fourchette haute du financement public » des dépenses de protection sociale dans l’Union européenne.
Ce constat est dressé par la Cour des comptes qui présentait, le 8 octobre, son rapport annuel sur la sécurité sociale, ses observations recoupant très largement celles faites il y a dix jours par la Commission des comptes de la sécurité sociale. En tout cas, le constat converge sur un point : alors qu’il y a un an l’amélioration de la situation financière permettait d’escompter un retour à l’équilibre en 2019, après un quart de siècle de déficit, il faudra attendre « au mieux » 2023. Le déficit s’affiche à 5,4 Md€. Il provient pour partie d’une dette sociale qui diminue moins vite que prévu et qui pourrait atteindre 46 Mds€ à l’Acoss (Agence centrale des organismes de sécurité sociale) en 2022.
Bien sûr les mesures d’urgence économique sont responsables d’une bonne partie du dérapage. Mais il y a d’autres causes : la ’léthargie’ de l’évolution de la masse salariale sur laquelle sont assises les cotisations : +3 % de progression au lieu des +3,5 % attendus, soit un manque-à-gagner de 1 Md€. Quant aux prestations sociales, alors qu’elles devaient augmenter de +2,1 %, elles ont progressé de +2,5 %. Soit, là encore, 1,4 Md€ qui manquent dans les caisses. Si l’on ajoute à cela que le maintien de la dette nécessite de trouver 16 Md€ pour financer les remboursements et les intérêts, on voit que la dégradation des comptes est bel et bien une réalité...
Un grand coup de rabot sur les dérapages...
Partant de là, pour revenir à une trajectoire de retour à l’équilibre, les magistrats de la rue Cambon préconisent de tirer sur tout ce qui dépasse. Et d’abord les ’niches sociales’. On connaissait les ’niches fiscales’ au nombre de plus de 480 dans le prochain budget et qui coûtent plus de 100 Md€ de manque-à-gagner au Trésor. Il existe, en parallèle, des dispositifs d’exonération de charges sociales dont l’impact est principalement compensé par l’État. Elles se montent à plus de 90 Md€, dont 52 Md€ visent à alléger le coût du travail pour stimuler l’emploi, ce qui relativise leur impact. La Cour n’en recommande pas moins de regarder de plus près les exemptions d’assiette et des exonérations ciblées qui se révéleraient inefficaces.
Seconde piste qui confirme ce que l’on savait : 800 000 personnes sont parties en retraite en 2016, mais dans ce total une personne sur deux est partie à la retraite « à taux plein avant l’âge légal, ou à l’âge légal mais sans la durée d’assurance requise ». Le coût de ces départs anticipés est élevé : 14 Md€. En 2018, le flux des départs anticipés pour carrière longue s’est inversé du fait de la réforme Touraine de 2014. La Cour préconise de « stabiliser durablement les règle de retraite anticipées pour carrière longue » et de réexaminer le périmètre des catégories actives dans la fonction publique.
Sur la maladie la Cour épingle, ce qui n’est pas franchement nouveau, les dépenses de transports de patients qui progressent de + 4 %. Elles devraient être davantage transférées au budget des établissements de santé et on devrait laisser à l’appréciation du seul médecin la décision de prescrire le transport d’un patient. Concernant les indemnités journalières pour arrêts de travail liés à une maladie, elle ont progressé de + 4,4 %. Surtout, on assiste dans toutes les classes d’âge à un allongement quasi-général de la durée des arrêts de travail. La Cour recommande de responsabiliser sur ce thème « les employeurs dont les conditions de travail peuvent contribuer à le demande d’arrêts, les assurés qui sollicitent des arrêts ; les médecins qui les prescrivent. La mise à la charge des employeurs d’une part accrue du financement des arrêts de travail pour maladie, à niveau d’indemnisation globale inchangée pour les salariés, pourrait être étudiée », ajoute la Cour.
Le rapport de la Cour formule, par ailleurs, une série de recommandations pour que les caisses renforcent leur offre de services numériques et améliorent l’accompagnement des usagers ; pour qu’un meilleur usage soit fait des données, notamment pour réduire les fraudes au RSA (Revenu de solidarité active) ; pour que l’évaluation de l’état d’invalidité d’une personne soit établie à partir d’un référentiel national homogène ; pour que se mette en place une gestion plus efficiente des greffes d’organes ; pour que s’améliore le taux de succès des tentatives de fécondation in vitro ; pour que se réorganise en profondeur les rapports entre médecine de ville et hôpital, notamment en ce qui concerne les actes et consultations externes. Bref, on l’aura compris, la Cour recommande un ensemble d’orientations qui, mises bout à bout, sont susceptibles de conduire à des économies importantes.
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