Dans la perspective de la journée de protestation contre la réforme des retraites du 5 décembre, les partisans de la réforme et leurs opposants fourbissent leurs armes avec des arguments peu convaincants, pour ne pas dire contestables, voire carrément mensongers…
Commençons par le gouvernement qui ne cesse d’émettre des messages contradictoires sur les modalités de la réforme. Deux sujets préoccupent les Français qui méritent un langage de vérité. Sur la question centrale de l’âge de départ en retraite, il ne pourra y avoir de recul à 63, 64, voir 65 ans aussi longtemps que les employeurs persisteront à se débarrasser de leurs salariés âgés pour les remplacer par des jeunes plus productifs et moins payés. Le problème reste que nous sommes face à une situation culturelle qui ne se modifiera pas par un coup de baguette magique.
Pour le comprendre, il faut se souvenir qu’à la fin des années 1970, après les « allocations supplémentaires d’attente » de Chirac et les « garanties de ressources » de Raymond Barre, les salariés de la sidérurgie, de la réparation navale, puis de l’automobile sont entrés à reculons dans des dispositifs de préretraite qui leur faisaient quitter leur activité à 53 ans et des poussières. L’ouvrier se sentait humilié d’être poussé dehors à un âge exagérément précoce.
Ultérieurement, au début des années quatre-vingt-dix, la pratique des plans sociaux annuels se systématise et les mesures d’âge deviennent un mode de gestion normal des effectifs. Les Français deviennent « accros » aux cessations d’activité anticipées. Les chiffres donnés récemment par la Cour des comptes sont là : 800 000 départs en retraite par an, dont 400 000 qui ne sont plus en activité au moment de ce départ. Ce sont les Assedic qui paient pour les préretraités, la caisse maladie pour les arrêts maladie de longue durée, etc.
Bien évidemment on peut comprendre ces salariés qui veulent cesser leur activité de plus en plus tôt alors que leur horizon de vie s’éloigne. Ils sont confrontés à des fins de carrière d’autant plus difficiles qu’ils ont du mal à s’accommoder des nouvelles technologies et que leurs employeurs ont profité des plans sociaux à répétition pour se dispenser de toute réflexion et s’exonérer de tout effort pour maintenir les seniors dans l’emploi. Comment inverser la tendance ? Les pouvoirs publics disposent-ils de moyens pour contraindre les employeurs ? Ce sont des questions qu’il faut avoir le courage de poser.
Seconde inconnue : quelle sera la durée de la période de transition ? L’Insee nous a prévenus il y a deux ans. La France comptait 22 000 centenaires en 2016 et elle en comptera dix fois plus, soit 270 000, en 2070. Qu’on le veuille ou non c’est la marque d’un vieillissement irréversible de la population qui va dans le sens de l’histoire. En France, comme partout ailleurs dans le monde.
Partant de là, autant on peut comprendre qu’à 5 ou 10 ans de la retraite on laisse aux futurs retraités le bénéfice du régime dans lequel ils ont toujours cotisé, autant il n’est pas réaliste de laisser entendre qu’on pourrait n’appliquer une réforme « systémique » qu’aux futurs entrants dans un régime. Autre manière de dire les choses : peut-on envisager d’étaler la réforme dans le temps sur 40, 50 ou 60 ans ? Cette perspective est naturellement tout à fait absurde. Elle correspond sans doute au vœu des hauts fonctionnaires qui savent très bien qu’agir ainsi c’est préserver leurs propres intérêts en condamnant tout processus de changement à l’enlisement et à l’échec. On vient d’en avoir l’exemple en Italie où il a suffi qu’arrive Salvini pour que la réforme prévue pour s’étaler sur 45 ans soit purement et simplement rapportée. En d’autres termes, une réforme ne sera efficace que si elle prend tous ses effets dans un délai raisonnable qui ne saurait excéder une dizaine d’années.
Les points ont sorti les salariés de la misère
Dans le camp des opposants, on a pu entendre, le vendredi 8 novembre sur LCI, Cécile Verzletti, secrétaire confédérale CGT, dire que son syndicat n’entend pas renoncer au système en répartition en vigueur en France aujourd’hui. Selon cette dirigeante syndicale, la mise en place d’un grand régime en points nous ferait donc sortir de la répartition. L’affirmation est d’autant plus surprenante venant d’une responsable de la CGT qu’elle doit savoir que son syndicat a été à l’origine de la mise en place en France du premier régime en points de l’histoire avec l’Agirc, le 14 mars 1947. Mieux encore, c’est un résistant de la CGT, secrétaire confédéral, signataire de ces accords de 1947, Andréjean, qui a « inventé » ce premier régime en points dont il a lui-même présenté les modalités de fonctionnement au cours d’une des huit séances de négociation.
On ajoutera que ce régime en points, infiniment plus généreux que celui de l’assurance vieillesse (il validait notamment les services passés pour des périodes non cotisées pour les prisonniers de guerre et les déportés), complété par l’Arrco pour les salariés non-cadres et porté sur les fonds baptismaux cette fois par FO et son représentant Antoine Faesch, a permis de sortir de la misère les salariés du privé à la fin des années 1970.
Ce système a tellement bien marché qu’il a été repris pour les agents non-cadres de l’État à l’Ircantec, puis dans des régimes des professions libérales (médecins, avocats et notaires notamment) et des indépendants.
Souple et robuste à la fois, la formule des points permet d’adapter le montant de la retraite aux situations démographiques et économiques. Résultat, elle a permis sur la dernière période de franchir sans encombre le cap du doublement du nombre de retraités arrivant du marché du travail. Ils étaient 400 000 environ avant 2006 et 800 000 depuis. Et pourtant les excédents cumulés Agirc-Arrco se montent à 70 Md€. Rien à voir avec les déficits des régimes publics qui se financent en grande partie sur l’impôt.
Enfin, ce n’est sans doute pas un hasard si des pays aussi différents que l’Allemagne, l’Italie, la Suède ou l’Estonie ont rendu un hommage implicite au génie français en basculant leurs régimes de retraite en annuités dans des systèmes en points, ou en « comptes notionnels » qui ne sont qu’un avatar des points.
Autre surprise dans la situation présente, on entend les représentants des régimes des professions libérales défendre un statu quo qui limite leur effort de solidarité à une fois le plafond de la sécurité sociale alors que la réforme demande à des professions plutôt privilégiées de participer plus activement à la solidarité en cotisant sur trois fois le plafond. Au-delà d’une fois le plafond, c’est le point de vue défendu par ces professions, il conviendrait de faire davantage appel à l’épargne salariale, voire à des formules de capitalisation historiquement combattues par les syndicats, au motif qu’elles pénalisent les plus pauvres. Partant de là, force est de s’interroger : une convergence des luttes a-t-elle vraiment un sens et lequel ?
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