La publication à quelques jours de la mobilisation contre la réforme des retraites d’une nouvelle contribution, ce 26 novembre, de l’Institut de la Protection Sociale, présidé par Bruno Chrétien, a suscité une vive réaction du Haut Commissariat aux Retraites.
Que dit l’IPS ?
Les experts de cet institut se sont penchés sur quatre volets particuliers de la réforme et ont cherché à déterminer quelles sont les conséquences à long terme des mesures envisagées pour certains publics :
- Les parents ayant un ou plusieurs enfants
- Les cadres dont les salaires se situent entre 3 et 8 fois le plafond de Sécurité sociale
- Les bénéficiaires d’une pension de réversion
Des effets pour les parents
Pour les parents, « les pertes notamment sont d’une ampleur que le Rapport Delevoye ne laissait pas soupçonner » indique Bruno Chrétien dans la présentation de cette étude.
Si la réforme prévoit une majoration de 5 % dès le premier enfant, l’amélioration de la situation ne serait, pour l’IPS, que de façade.
En effet, en contrepartie de l’instauration d’une majoration de 5% des points par un des membres du couple, et ce dès le premier enfant, deux dispositifs existants sont supprimés : la bonification pour l’homme et pour la femme au 3ème enfant, mais aussi la majoration de durée d’assurance qui apporte 8 trimestres par enfant à la femme
Simulant plusieurs cas-types, l’IPS estime que le nouveau dispositif s’avèrerait « parfois plus avantageux dans le cas de carrières validant 30 années.
Ainsi, pour 15 000 € de salaire annuel, le gain sera de 112 €/ an pour les mères d’un enfant. Il sera de 132 € pour 2 enfants.
Prenant le contrepied des propos officiels, l’IPS considère que, dans le cas de carrières hachées, souvent connues par les femmes, le nouveau dispositif serait défavorable aux mères d’un ou deux enfants. Ainsi, pour 15 000 € de salaire annuel et pour une carrière de 10 ans, la perte serait de 137 €/ an pour les mères d’un enfant. Elle sera de 305 € pour 2 enfants.
Enfin, pour les mères de 1 et 2 enfants ayant travaillé de nombreuses années, la pénalisation du nouveau système s’avère aussi très importante. Pour le même niveau de salaire que précédemment, la perte annuelle pour une femme ayant deux enfants serait de 1633 euros (carrière de 152 trimestres) à 1935 € (carrière de 172 trimestres).
Pour l’IPS, la raison est simple : avec le nouveau système, les mères perdent l’effet levier que leur apporte la majoration de durée d’assurance aux carrières pour lesquelles il manque 20 trimestres ou moins pour atteindre le taux plein.
Les familles de 3 enfants, subiraient quant à elle la « double peine » en cumulant la perte de la majoration de durée d’assurance avec celle de la majoration pour 3 enfants. Dans le cas-type d’un salaire annuel de 15000 €, une femme avec 3 enfants perdrait entre 736 € (carrière de 40 trimestres) à 2935 € (carrière de 152 trimestres). L’homme quant à lui verrait sa retraite diminuée de 154 € (carrière de 40 trimestres) à 587 € (carrière de 152 trimestres). Et beaucoup plus si la carrière est complète et atteint 172 trimestres : 3448 €.
La perte sera ainsi de 18,66% pour les parents de 3 enfants ayant cotisé 38 ans et de 24,65% s’ils ont cotisé 43 ans.
Les cadres malmenés
« Les cadres supérieurs comptent parmi les grands perdants de la réforme Delevoye », indique l’IPS. Dans le cas d’un cadre âgé de 45 ans et percevant 6 PASS (243 144 €), la perte de retraite future est de 1 534 € par année de cotisations, soit, compte tenu de sa durée de cotisations, une perte de 29 139 € / an au terme de sa carrière. Si, pour compenser ce manque de revenus, il souscrit comme cela lui est proposé un PER, il lui faudra constituer un capital de 916314 €, moyennant une cotisation annuelle de 37332€. Toutefois cette cotisation ne sera pas intégralement déductible de son impôt sur le revenu, mais limitée à 17 560 €/an. En tenant compte de cette déductibilité, le surcoût de la cotisation retraite qu’il doit souscrire représente 12,76% de son salaire net. (243 144 €).
Des défauts de garantie pour la réversion
Là encore, explique l’IPS, le dispositif présenté se veut plus simple et plus juste. Il s’agit en effet de garantir un niveau de vie constant à la personne veuve. Les experts soulignent que la réversion concernant principalement des femmes dans le système actuel, il convient de s’intéresser aux effets des nouvelles règles sur leur situation. Le constat est ici encore, très difficile : « Les changements de la réversion impactent fortement les femmes ». Le gros problème soulevé par l’IPS est un déficit de couverture pendant de nombreuses années. En effet, l’âge d’ouverture des droits serait plus tardif qu’il n’y paraît à cause de l’obligation d’être retraité, oubliant le cas des veuvages précoces.
Ainsi, par rapport au dispositif actuel, les bénéficiaires de la réversion vont perdre :
- 7 ans de durée de versement de la pension s’ils demandent leur pension à 62 ans
- 9 ans de durée de versement de la pension s’ils la demandent à 64 ans
Une réaction immédiate du HCR
Dans la foulée, Jean-Paul Delevoye analysait l’étude de l’IPS en y voyant « Une démonstration imprécise et qui ne prend pas en compte les dispositifs de solidarité dans le système universel ». Et de compléter en qualifiant cette contribution de « argumentaire partiel et volontairement à charge »
Ainsi, le HCR considère que « les cas-types mis en avant par l’IPS comportent en effet de nombreuses imprécisions et sont délibérément orientés. » Ainsi, poursuit le HCR, « l’absence d’attribution de droits au titre des interruptions d’activité (chômage, congé parental) alors que les profils des bénéficiaires semblent susceptibles d’y donner droit conduit également à de fausses estimations ».
S’agissant des réversions, le souhait de ne pas introduire de failles dans la couverture contre le risque veuvage, notamment lorsque celui intervient avant les 62 ans du ou de la survivante, a conduit le Gouvernement à missionner l’Inspection générale des affaires sociales qui remettra au début de l’année prochaine un rapport sur la prise en compte de ces situations. Il formulera des propositions pour garantir aux personnes victimes de ces situations de veuvage précoce la solidarité de la Nation.
Pour Jean-Paul Delevoye, « il ne s’agit pas de faire des économies sur le dos des mères de famille mais de construire un système plus redistributif envers les femmes et qui réduira l’écart de pensions entre les femmes et les hommes ».
Sur la méthode, le Gouvernement « rappelle la grande fragilité de simulations ou de cas-types faisant des hypothèses sur des paramètres du futur système qui n’ont pas été arbitrés et demeurent à l’ordre du jour des concertations en cours ».
mm