Le Premier ministre, Édouard Philippe a abattu ses cartes. Même si des voix se sont aussitôt élevées pour dénoncer une réforme contestée avant même d’être dévoilée, on ne saurait lui reprocher d’avoir fait preuve d’un certain courage en balisant très clairement le terrain.
La réforme proposée prendra la forme d’un projet de loi qui sera présenté au conseil des ministres du 22 janvier. Il sera débattu au Parlement à partir de la fin février. L’exécutif crée sur ce point la surprise. On pensait généralement que ce texte ne viendrait en débat qu’après les municipales. Emmanuel Macron estime que pour produire des effets avant 2022 et le prochain scrutin présidentiel, il faut aller plus vite.
Seconde surprise, le dispositif présenté ce mercredi devant le Conseil économique, social et environnemental correspond très exactement sur le fond à la feuille de route du candidat Macron en 2016-2017. Pour autant, il a été très sérieusement ajusté. Sans toucher à l’esprit général et à l’architecture prévue, d’importantes dispositions sont prises dans le but évident de désamorcer la contestation sociale. Les changements sont tels qu’il faut s’interroger sur les conséquences de ces aménagements sur le coût et la complexité de la réforme.
Les grandes lignes sont confirmées
Sur le premier point, c’est donc sans surprise que le Premier ministre a confirmé « la fin des régimes spéciaux ». Dans les faits, selon la liste figurant dans le code de la Sécurité sociale, il n’en reste plus qu’une douzaine dont certains ne pèsent plus très lourd (Opéra de Paris, Comédie française…), alors que d’autres très déséquilibrés sur le plan démographique et sous perfusion d’une subvention d’équilibre de plus de 6,5 Md€, arrivent en bout de course. On songe évidemment au régime des cheminots confronté, dès le 1er janvier 2020, à l’ouverture du trafic ferroviaire à la concurrence dans l’espace communautaire.
Seconde confirmation : se situant dans le droit fil du projet du Conseil national de la Résistance, Édouard Philippe a confirmé sa volonté d’aller vers une universalité qui n’a pas été réalisée en 1945. L’universalité visée par Michel Rocard avec la création de la CSG (contribution sociale généralisée), fut contrariée en 1993 par François Mitterrand. Aujourd’hui, cette universalité se veut sans exception et s’étend même aux régimes autonomes des élus.
Troisième confirmation : le choix est confirmé d’un régime en points sur le modèle des régimes Agirc et Arrco qui ont fait leurs preuves, mais aussi de l’Ircantec, du RSI, des régimes complémentaires de la CNAVPL, du RAFP, etc. Et de tous les régimes étrangers qui ont peu ou prou dupliqué « le modèle français » (Allemagne, Italie, Pologne, Estonie, Suède…)
Quatrième confirmation, la règle d’or d’un retour à terme de l’équilibre financier est actée. Mais la responsabilité d’atteindre l’objectif est laissée aux partenaires sociaux « comme ils le font déjà pour les régimes complémentaires ». « Il leur reviendra de fixer la trajectoire de retour à l’équilibre et de le maintenir. S’ils s’entendent sur une telle trajectoire, le gouvernement la prendra à son compte ».
De très nombreuses concessions
Sur ce dernier aspect et on entre là dans le chapitre des nouveautés, le Premier ministre a souhaité que la valeur du point soit aussi fixée par les partenaires sociaux avec validation du Parlement. Cela suppose évidemment que le patronat et les syndicats qui ont cogéré les régimes Agirc et Arrco avec succès depuis 1947 acceptent de tenir le même rôle dans la gouvernance du nouveau système. Il y a là comme une main tendue aux syndicats qui pourraient peut-être préserver une partie de leur légitimité au moment où leur audience s’effondre. Par ailleurs, après avoir perdu la gouvernance de l’assurance maladie en 2004 et celle de l’assurance chômage au printemps dernier, cette offre pourrait redonner des couleurs à un paritarisme en mal de « grain à moudre ».
De la même façon, le chef du gouvernement a invité les partenaires sociaux à s’emparer du dossier de l’âge de la retraite pour trouver « un chemin » qui aboutirait à faire travailler les Français plus longtemps. Les syndicats verront sans doute moins dans cette « invitation » une preuve de confiance qu’une manière de leur « refiler la patate chaude » dans un environnement très encadré puisque, s’ils ne parvenaient pas à se mettre d’accord, le gouvernement reprendrait la main pour fixer un âge pivot à 64 ans à partir de 2027. En cas de départ en retraite avant cet âge pivot, la valeur du point serait minorée.
Sur la question des réserves, notamment celles des régimes des professions libérales, Jean-Paul Delevoye avait évoqué la possibilité de les affecter au régime universel. Édouard Philippe a assuré que « les réserves resteront dans les caisses des professionnels concernés » et pourront notamment « accompagner la transition » de ces régimes vers le futur système. Il a cité le cas des auxiliaires médicaux, des avocats ou encore des médecins et s’est défendu de vouloir opérer un « siphonage ».
Quantité de petites mesures sont encore semées dans ce projet. Ainsi, aux 5 % de majoration par enfant dès le premier enfant, le gouvernement ajoute 2 % supplémentaire à partir du troisième enfant. Ainsi, en matière de pénibilité ouvrant le droit aux fonctionnaires de partir plus tôt en retraite, le gouvernement ajoute une possibilité de prise en compte du travail de nuit qui intéressera les hospitaliers.
Une réforme, oui, mais qui se perd dans la complexité
Les mesures les plus lourdes financièrement portent d’abord sur la transition. On était parti avec une réforme s’appliquant uniformément à la génération née en 1963. L’offre sur cette question s’est considérablement diversifiée et… complexifiée.
- La génération née en 2004 et qui aura 18 ans en 2022 entrera directement dans le nouveau système.
- Ce dernier s’appliquera à partir de la génération née en 1975 en 2037. Autrement dit, toutes les personnes nées avant 1975 peuvent rester dans l’ancien système.
- Ceux qui sont à moins de 17 ans de la retraite ne seront pas concernés.
- Dans les régimes spéciaux, jusqu’à l’entrée en vigueur des régimes spéciaux en 2037, les travailleurs nés avant 1980 pourront partir à 57 ans et ceux nés avant 1985 pourront partir à 52 ans.
Les dérogations sur l’âge de départ en retraite seront maintenues pour certaines catégories de fonctionnaires. Pompiers, policiers, militaires, gendarmes pourront ainsi conserver le bénéfice de leur dérogation.
Le niveau des pensions des enseignants sera « sanctuarisé » et « comparable aux niveaux des retraites ou des fonctions équivalentes dans la fonction publique ». Cette décision sera inscrite dans la loi.
La valeur du point sera « progressivement indexée sur les salaires et non plus sur les prix » (depuis Philippe Séguin en 1989, l’indexation était sur les prix). Le gouvernement répond là à une vieille revendication de Force Ouvrière. Cette « valeur du point ne baissera pas ». Mais est-ce compatible avec les modalités de fonctionnement d’un régime en points ?
Last but not least, tout en confirmant que l’âge légal de départ à la retraite reste fixé à 62 ans, le gouvernement montre qu’il n’a pas renoncé à sa notion d’âge pivot à 64 ans.
Au total, et bien que le calcul soit difficile à faire, on devine que ces reports dans l’application du nouveau système, l’indexation sur les salaires préférée à celle sur les prix, le maintien d’un certain nombre de dérogations qui ne sont là que pour calmer des mécontentements catégoriels rajoutent de l’inégalité là où on voulait la supprimer. Par ailleurs, si le gouvernement visait la simplification, il a raté son coup et sombre dans une complexité technocratique qui ne facilite pas l’adhésion à sa réforme.
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