La récente sanction infligée par l’ACPR à la mutuelle Tutélaire (voir Fil-Social n°31625) est à plus d’un titre, illustrative de plusieurs maux. D’abord, celui de la profonde asymétrie des relations existantes entre un corps de contrôle doté de pouvoirs disciplinaire et les structures contrôlées. Ensuite celui de la capacité de l’ACPR à interpréter les règles avec une lecture parfois très personnelle. La lecture attentive des documents de procédure révèle aussi des interrogations sur l’analyse portée à certaines situations, voire à des raccourcis conduisant à des erreurs manifestes. Plus grave, le caractère contradictoire de la procédure disciplinaire est mis en doute par la mutuelle dont les responsables ont le sentiment de n’avoir été « ni entendus, ni même écoutés ».
Rappelons un peu les éléments du dossier. Le 10 décembre 2019, Tutélaire a été sanctionnée à hauteur de 500 000 euros pour défaut de traitement de déshérence de son contrat TUT’LR.
Ce contrat de prévoyance individuel couvre principalement le risque de dépendance mais également l’incapacité de travail, l’hospitalisation et le décès. Il s’agit donc là d’un contrat d’assurance mixte, et cet aspect se trouve bien au centre du problème.
Divergences d’interprétation
Pour la mutuelle, l’affaire est claire : son contrat a la nature d’un contrat d’assurance dit « mixte » et est donc composé, à titre essentiel, de garanties non-vie et, à titre accessoire, d’une garantie invalidité permanente et absolue / décès (une seconde garantie temporaire décès est prévue pour certains salariés de La Poste). Et d’ailleurs, précise-t-elle, les garanties « vie » n’interviennent que pour 20% des cotisations encaissées sur ce contrat. Ce qui confirmerait leur caractère accessoire.
C’est cet équilibre entre la dimension « non-vie » et « vie » du contrat qui est contredite par le Collège de supervision de l’ACPR. Son représentant considère en effet que le contrat est assimilable à un contrat « vie » et doit donc se voir appliquer les règles y afférentes.
La différence ? Dans la première approche, le contrat n’entre pas dans les prescriptions liées à la recherche de déshérence, dans le second la situation serait toute autre.
Première remarque, d’importance, soulevée par la mutuelle dans sa réponse au rapport : une lecture très parcellaire des dispositions de l’article L 223-10-2 du Code de la mutualité qui devrait, selon elle, connaître une lecture combinée de ses différents paragraphes.
Question d’éthique
Au passage, la mutuelle n’apprécie guère que l’on considère un défaut d’éthique dans ses activités vis-à-vis de ses adhérents. « L’ACPR », explique-t-elle, « ne saurait tirer argument de cette divergence d’interprétation des textes législatifs et réglementaires, pour remettre en cause les principes et l’éthique qui président à l’activité et à l’existence même de Tutélaire ».
L’interprétation qu’elle a pu faire de la situation n’est pas de pure opportunité. Pour l’étayer, la mutuelle a consulté. Un professeur de droit, éminent spécialiste du droit des assurances, et Christian Eckert, initiateur de la loi éponyme portant sur la déshérence des contrats d’assurance-vie. Pour ces deux spécialistes – et références – pas de doute possible : le contrat en question est d’abord un contrat de prévoyance et n’entre pas dans le champ de la loi Eckert.
La méthode d’analyse critiquée
Au-delà du fond, qui devrait être tranché par le Conseil d’État, la mutuelle ayant clairement annoncé le dépôt d’un recours, c’est aussi la méthode employée qui poserait problème.
Un seul exemple, parmi d’autres, permet de mesurer la portée de sa critique. Alors que la jurisprudence de la Cour de cassation s’est prononcée en faveur du rattachement des contrats mixtes au régime des contrats non-vie par des arrêts importants, le représentant du Collège de Supervision considère « que la portée des arrêts de la Cour de cassation dont se prévaut Tutélaire doit être confrontée aux situations en cause ». Et de poursuivre : « J’estime que la jurisprudence de la Cour de cassation rattachant ces contrats « mixtes » au régime des contrats non vie, intervenue dans des litiges civils relatifs, par exemple, à l’action en paiement de la prime ou aux modalités de modification ou de résiliation du contrat, ne lie pas la CS [commission des sanctions NDLR] saisie de griefs par lesquels il est reproché à un organisme de ne pas avoir respecté des dispositions légales qui ont pour objet la protection des assurés ». On pourrait en conclure que c’est la situation de fait qui déterminerait le statut de droit… Étonnement de la mutuelle qui se demande comment on « puisse estimer que la jurisprudence de la Cour de cassation, juridiction la plus élevée dans l’ordre judiciaire français, pendant du Conseil d’État dans l’ordre administratif, pourrait ne pas lier la commission des sanctions de l’ACPR, ou du moins l’interroger. »
Visant clairement la souplesse d’interprétation dont pourrait faire preuve l’ACPR, la mutuelle rappelle que « C’est l’unicité de la juridiction qui permet l’uniformité de l’interprétation, et donc l’élaboration d’une jurisprudence appelée à faire autorité. » Le risque ? C’est celui, majeur, de l’insécurité juridique.
Cette approche très large du pouvoir d’interprétation est d’autant plus interrogée que certains aspects du dossier interpellent. Notamment quand le rapport assimile une garantie décès à un contrat obsèques…
En filigrane d’un dossier éminemment technique, c’est bien la question de savoir si l’activité d’un organisme de contrôle, a fortiori lorsqu’il est doté par la loi de capacités de sanction, ne risque pas d’apparaître comme celle d’une juridiction d’exception.
mm