De gauche à droite : Olivier Véran, Guillaume Gouffier-Cha, Nicolas Turquois
François Charpentier
Trois des sept rapporteurs des projets de loi sur la réforme des retraites ont présenté, ce mardi 11 février 2020, devant l’Association des journalistes de l’information sociale (Ajis) l’état d’avancement des travaux de la commission des affaires sociales. L’affaire est à l’évidence complexe puisqu’après la contestation dans la rue, les députés de la France Insoumise se relaient à l’Assemblée pour harceler le gouvernement en déposant 21 782 amendements, dont 9 000 à ce jour ont été jugés « recevables ».
Second chiffre à retenir donc, sept rapporteurs : Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général ; Olivier Véran, rapporteur du projet de loi organique ; cinq rapporteurs pour la loi ordinaire, un par titre, dont trois députés LREM, dont le fils de l’ancien secrétaire général de la CFDT Edmond Maire, Jacques Maire, un élu du Modem, Nicolas Turquois et un élu de l’UDI, Paul Christophe.
Le calendrier prévoit que l’examen de ces deux textes en commission se poursuivra jusqu’au lundi 17 février, mais que le débat s’enrichira ce mardi des propositions contenues dans le rapport Fragonard sur l’égalité hommes-femmes. Les députés attendent notamment que ce rapport les éclaire sur le partage des points en cas de divorce. Pour le reste, l’agenda initial est-il susceptible d’être bousculé ? Même si les rapporteurs affichent des traits tirés après plusieurs jours de débats en continu, ils estiment qu’à force de revenir toujours sur les mêmes thèmes pour répondre aux sollicitations des députés de la France insoumise – ceux du Rassemblement national ont brillé par leur absence, notait Olivier Véran – d’une part on peut estimer que « l’ensemble du texte a été balayé ». D’autre part, plusieurs avancées ont été inscrites dans le texte et le travail parlementaire s’effectue dans des conditons acceptables. Au-delà, les députés de la majorité sont parfaitement conscients que « c’est toujours quand on entre dans le concret que les crispations apparaissent »…
Malgré LFI, le débat parlementaire a lieu
Toute la difficulté tient au fait qu’avec cette réforme on touche à des sujets concernant tous les Français et que, pour atteindre l’objectif d’un régime universel par points, « il y a 42 chemins pour y aller avec dans chaque régime des particularités qui nécessiteraient pour être traitées des millions d’amendements. Est-ce le rôle du Parlement de descendre à ce niveau de détail ? » Nicolas Turquois, chargé de la question sensible des transitions, ne le pense pas.
Autre sujet sensible : le recours à « une procédure accélérée » ne va-t-il pas priver les députés d’un débat sur la question du financement traitée par la voie de la négociation avec les partenaires sociaux d’abord et d’une ordonnance ensuite ? Ce n’est pas le point de vue de Nicolas Turquois. Il rappelle que la loi de ratification donnera l’occasion aux députés d’intervenir. Cela dit, le rapporteur de la loi organique admet que le Parlement « n’est pas dans une situation idéale » dès lors que les partenaires sociaux négocient en amont sur le même sujet. « On ne peut pas imaginer une seconde qu’il n’y ait pas interaction entre les partenaires sociaux et les parlementaires et l’instauration d’un dialogue dans l’intérêt général ».
Illustrant par ailleurs la complexité de la réforme par le cas des exploitants agricoles – 30% d’entre eux seulement ont une retraite à taux plein et la MSA ne valide que 97 trimestres, en moyenne, alors que 150 sont nécessaires, Nicolas Turquois, lui-même fils d’agriculteur , rappelle que, pour couvrir le plus de monde possible, on a multiplié les statuts au sein du régime « chefs d’exploitation », « conjoint collaborateurs », « aidants familiaux », « veufs et veuves »… - dont il faudra aborder les difficultés catégories par catégories. « Mais est-ce le rôle du Parlement de le faire ? » En revanche, s’il n’est pas dans la vocation du Parlement d’entrer dans les détails, il faudra bien, s’agissant des agriculteurs, traiter la question du stock des retraités déjà en difficulté. « Cette question devrait pouvoir se régler dans le cadre du PLFSS ». De la même façon, au-delà de principes généraux et de lignes directrices, les députés n’ont pas envie d’entrer branche par branche et métier par métier dans le débat sur la pénibilité.
L’indexation sur les revenus est-elle soutenable ?
Un point pose manifestement problème : la fixation de la valeur du point. Depuis décembre 1987 et Philippe Séguin la revalorisation des retraites ne se fait plus sur la base de l’évolution du salaire moyen mais sur celle de l’inflation, moins avantageuse pour les retraités. La preuve est que pour un indice 100 en 1990, on est aujourd’hui à un indice 140 pour les prix et 170 pour les revenus. Le gouvernement veut revenir à une indexation sur les revenus au motif qu’en intégrant les professions libérales dans un régime universel, il faut construire un « indice agrégé » qui permettra de prendre en compte les revenus des salariés du privé et des libéraux. Sur le papier, la mesure semble logique et généreuse et devrait convenir à une centrale syndicale comme FO qui réclame ce retour à une indexation sur les salaires depuis 1987. Sauf qu’en prenant cette mesure il y a près de 35 ans, le gouvernement entendait infléchir la courbe de croissance des retraites qui progressaient nettement plus vite que les prix. Et qu’il y est parvenu puisque cette mesure était à effet immédiat et qu’elle a été reconduite 7 ans plus tard par Édouard Balladur. Alors que la charge des pensions s’est accrue du fait de l’arrivée de la génération du baby-boom à partir de 2006 (700 000 retraités supplémentaires chaque année contre 350 000 les années précédentes) et de l’allongement de l’espérance de vie qui reste une tendance lourde sur le long terme, une indexation sur les salaires est-elle financièrement soutenable ? On a pour le moment un peu de mal à y voir très clair.
De la même façon, quel sera le contenu de la gouvernance et de la place promise aux partenaires sociaux si ce dispositif de revalorisation est verrouillé par l’indice construit par l’Insee ? Prêchant pour leur paroisse, les députés expliquent qu’il faut trouver un moyen d’associer la représentation nationale à la gestion du nouveau dispositif. Il serait étonnant que l’État, patron des fonctionnaires, ne tienne pas le même discours. De sorte que la place laissée aux partenaires sociaux risque d’être réduite au strict minimum.
Enfin, une bonne nouvelle : l’article 65 qui traite de l’épargne salariale et des mesures prises dans le prolongement de la loi Pacte devrait être retiré de ce texte au motif qu’il « sème la confusion ». Le rapporteur général l’a rappelé, cette réforme vise à consolider la répartition et non à introduire par un biais détourné des suppléments en capitalisation qui ont peu de chance de se développer dans un système dans lequel on cotise à la hauteur de 3 fois le plafond de la sécurité sociale soit 120 000 € annuels.
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