Quel regard portez-vous sur la protection sociale complémentaire et, plus spécifiquement, la prévoyance ?
C’est une banalité de dire que nous vivons des transformations de grande ampleur. Avec la réforme du système de retraite, la gestion paritaire sera mise sous tutelle. Le marché de la complémentaire santé est de plus en plus encadré. Conséquence : les capacités d’adaptation des prestations se réduisent. Enfin, l’ANI santé a changé la nature même de la complémentaire. Hier conquête de la négociation, cette couverture est devenu un droit.
Dans ce contexte, qu’observe-t-on sur la prévoyance ? On s’attendait à un nouvel ANI, il n’en a rien été. Du coup, la prévoyance reste un secteur où l’implication et la valeur ajoutée de la négociation conventionnelle restent essentielles.
Comment expliquez-vous cela ?
Très certainement par le manque de perception, et de sensibilité, aux enjeux de la prévoyance longue. Nous vivons une situation paradoxale où la couverture de l’achat d’une paire de lunettes est considérée comme plus importante et mieux prise en compte que la réponse aux risques aux effets autrement plus lourds, pour l’entreprise et pour le salarié. Pourtant, ce sont bien eux qui sont à l’origine des couvertures sociales.
Plusieurs éléments permettent d’expliquer cela. D’abord l’évolution globale de notre société qui mêle une individualisation des attentes avec une intervention croissante de l’État.
Ensuite, avec la loi Évin, nous sommes entrés depuis les années quatre-vingt-dix dans l’ère de l’assurance. Cela a, à la fois, des effets sur les méthodes que nous devons employer et les esprits de nos publics.
Enfin, il faut avoir conscience, il y a peut-être un effet générationnel. Les pères fondateurs de la protection sociale complémentaire, ceux qui avaient construit les dispositifs, ont passé la main. Mais on peut s’interroger si le passage de relais s’est fait avec le même engagement.
Le constat est sévère. Quelle place pour la prévoyance ?
Le constat s’impose à nous. Mais j’y vois un motif d’espérance : il conforte en réalité la place de la négociation collective. Comme je l’ai évoqué, le mouvement « d’étatisation » vécu en retraite ou en santé n’a pas touché la prévoyance. Par contre, la demande de la société dans son ensemble va vers plus d’équité. Et que constatons-nous ? Face aux risques lourds, les différences entre les très grosses entreprises et les PME/TPE perdurent. C’est pourquoi le rôle des branches reste essentiel pour ces petites entreprises.
La prévoyance reste donc le domaine par excellence de la négociation collective.
Même avec la disparition des clauses de désignation ?
Si, sur le plan conceptuel, cela a pu être regardé comme une remise en cause de la négociation collective, et un danger pour les institutions de prévoyance, la réalité des chiffres est toute autre. Les institutions ont su s’adapter à cette nouvelle donne et le bouleversement pressenti n’est pas intervenu.
Pour ce qui concerne l’Ocirp, nous n’avons pas connu de déstabilisation. Il est vrai que la pertinence et la qualité de nos interventions étaient reconnues par les partenaires sociaux, que nous accompagnons depuis de nombreuses années. Résultat : sur trois ans, le chiffre d’affaires est en légère augmentation, avec une progression sur les branches et une baisse sur les entreprises en direct.
Mais la fusion des branches n’est-elle pas un nouvel obstacle ?
Là encore, cette évolution peut être appréhendée comme un risque, ou comme une opportunité. Cela demande une analyse au cas par cas. Pour l’Ocirp, la situation est très différente entre deux branches qui se rapprochent si une seule est équipée avec nos gammes, si l’équipement porte sur des gammes différentes (exemple : une rente décès vs une rente éducation). Ce qui est vraiment différenciant, c’est bien l’accompagnement et le conseil que nous apportons aux différentes parties.
Si, en individuel, la pression du prix est indéniable, la situation est assez différente en collectif. La régulation par la branche se fait par le contenu. On peut difficilement concevoir une approche uniforme : les besoins de la branche des industries de la volaille sont assez éloignés de ceux du Syntec…
À ce titre, le levier du degré élevé de solidarité est très important.
Le second élément de différenciation est l’engagement social, qui est d’ailleurs la marque de fabrique des institutions de prévoyance et de l’Ocirp.
Concrètement ?
En matière de protection sociale, on ne peut concevoir de rester de simples organismes payeurs de prestations financières. Je crois que nous en sommes tous convaincus, et le développement des services en est une preuve évidente.
Il faut aller plus loin. En collectif, la définition de demain de l’assurance, c’est l’accompagnement personnalisé. C’est un enjeu et un atout car je suis persuadé que les administrations n’ont pas la capacité à jouer ce rôle.
C’est ce que nous avons voulu construire avec notre dispositif « Vivre Après », co-construit avec Inter Mutuelles Assistance. Il ne s’agit pas d’un catalogue de services mis à disposition. Nous adoptons une démarche proactive et non intrusive qui repose sur la détection des situations individuelles. Nous avons conscience que nous ne pourrons jamais suppléer l’absence définitive d’un proche. Mais nous pouvons faire en sorte, très tôt, que la situation ne s’aggrave pas.
Dans un premier temps et dès le décès, notre partenaire intervient pour proposer notre accompagnement. Pendant un an, il est à la disposition de la famille. Au-delà de cette première année, si besoin est et en s’appuyant sur les relations étroites qui ont été nouées, notre action sociale prend le relais. Nous obtenons une meilleure information sur les dispositifs d’accompagnement existant, donc plus de pertinence sur nos interventions.
C’est en quelque sorte ce qui peut être de la « prévoyance augmentée ». Une approche moderne qui est le fruit de cinquante années d’expertise.
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