Le désormais traditionnel rendez-vous de l’information sanitaire de fin de journée avec le Professeur Salomon a fait naître une polémique – parmi d’autres - sur les modes de comptage des effets de l’épidémie de Covid-19. Et donne une curieuse impression qu’à l’heure de l’intelligence artificielle, les services gouvernementaux en seraient restés au boulier…
Plus sérieusement, les observateurs et les experts se posent une question : « mais à quoi servent le Système national des données de santé et le Hub Santé lancé avec force médiatisation ? » Car même si le gouvernement a modifié sa stratégie de comptage, certains outils semblent bien curieusement absents du dispositif.
Et plutôt que de se demander s’il faut recourir à des outils liberticides de géolocalisation, mieux vaudrait s’inquiéter du bon usage des moyens à notre disposition.
Les chiffres bruts fournis par le DGS tous les soirs sont sommaires pour trois raisons
- Ne sont comptabilisés que les décès liés au coronavirus de manière directe et uniquement en établissements de soins.
- On ne dispose pas du nombre de décès en ville et en établissements d’accueil pour personnes âgées en raison du coronavirus. Pourtant chaque décès fait normalement l’objet d’un certificat établi par un médecin où sont mentionnés le lieu, l’âge, le sexe, la cause médicale du décès etc. Donc la donnée existe, y compris pour la ville et les EHPAD. Sur ce point, les pouvoirs publics semblent s’en être rendu compte mais pourquoi si tard ? Comme dès le départ le gouvernement a communiqué sur le fait que les victimes du coronavirus seraient principalement des personnes âgées, il aurait fallu comptabiliser dès ce moment-là les malades et les décès des personnes âgées dans ces structures, les personnes âgées constituant entre le tiers et le quart du total des décès en France.
- On ne dispose pas, semble-t-il, du nombre de personnes décédant de manière indirecte du coronavirus (à l’instar de ce qui est fait pour la grippe, les chiffres fournis étant globaux, décès directs et indirects) dans les établissements de soins liés aux complications du virus, mais non au virus lui-même. Pourtant, cette donnée existe. Mais peut-être que les chiffres annoncés par le Directeur général de la santé sont-ils déjà globaux. Dans ce cas, la « transparence » justifierait qu’on le dise.
- En l’absence de tests massifs, ne sont comptabilisées que les personnes diagnostiquées et non les personnes réellement infectées. Du coup, le taux de létalité est biaisé et, ce n’est pas sans importance, totalement anxiogène.
- L’impact sur la mortalité réelle est difficilement calculable. Il serait intéressant de comparer avec une profondeur d’historique de 3 ans minimum sur les 2 derniers mois et les 6 premiers mois d’une année, par département, classe d’âge, par pathologie etc. l’évolution de la mortalité, pour mesurer, toute chose égale par ailleurs, l’impact du coronavirus sur le taux de mortalité global. Mais là encore se heurte-t-on peut-être à un « syndrome Mattéi » qui, en parlant de la canicule de 2003, évoquait les « décès prématurés ». L’ancien ministre de la Santé avait techniquement raison (l’analyse de la mortalité sur 3 ans lui a donné en grande partie raison), et politiquement tort. Cela lui a d’ailleurs été (politiquement) fatal.
Pourtant, plusieurs dispositifs permettraient d’affiner nos statistiques, et donc donner une base plus fiable au suivi de l’épidémie.
L’Insee d’abord, qui vient de livrer une contribution intéressante avec un comparatif sur 2018 et 2019 l’évolution globale de décès par département toutes causes confondues. Si on ne distingue pas le nombre de décès « coronavirus » ; on peut toutefois évaluer l’impact du coronavirus sur la mortalité globale. On constate d’ailleurs que, depuis le début de l’épidémie, le nombre global des décès est inférieur aux années précédentes.
Depuis 2013-2014 les causes médicales de décès, à partir du registre des causes de décès, ont été chainées avec le Sniiram, donc sont au sein du SNDS comme le stipule la loi. Aussi, le SNDS peut, à l’aide des certificats de décès, permettre de connaître avec plus de précision le nombre de décès liés à l’épidémie.
Plus encore, puisqu’avec le parcours de soins qu’il supervise, et les prescriptions associées, il permettrait de dénombrer là encore avec plus de précision le nombre potentiel de personnes infectées et pas seulement diagnostiquées
Les données sont disponibles puisque, depuis des années, l’assurance-maladie gère le Sniiram, qui collecte les données de tous les régimes et qui doit « contribuer à une meilleure gestion des politiques de santé ».
On peut donc considérer que notre système de santé, qui montre indubitablement ses limites en termes d’organisation, est pratiquement démuni d’outils de pilotages solides. Si la prise de conscience de l’importance des données est ancienne, nous constatons malheureusement que l’inertie et les cloisonnements administratifs ont fait leur œuvre. À l’époque où l’on mise sur une armée de start-up pour redynamiser notre société, on se rend compte, sans en connaitre la raison, que celle-ci a bien du mal à obtenir depuis trois mois les données du Health Data Hub pour faire preuve de réactivité et d’anticipation.
Nul doute que l’après devra corriger aussi cela...
mm