Il y a des ouvrages qui tombent pile-poil - même publiés en novembre 2019 -, pour redonner le moral en cette période troublée. C’est le cas de ce livre de Michèle Delaunay, dont le titre traduit bien le propos : « Le fabuleux destin des baby-boomers ». Un clin d’œil au film de Jean-Claude Jenet et à Amélie Poulain son personnage principal, bien sûr. Une œuvre vieille de près de vingt ans, débouchant aujourd’hui sur des lignes qui forcent à l’optimisme sur des thèmes qui ne s’y prêtent pas toujours.
Rappelons d’abord que Michèle Delaunay ne parle que de ce qu’elle connaît. Née en janvier 1947, elle fait pleinement partie de cette catégorie de population qui a connu les tickets de rationnement et pour laquelle les Trente Glorieuses commencent au mieux dans les années 1950 et se réduisent dans les faits à vingt. La première partie de l’ouvrage consacrée à ce « big-bang » de la natalité dans les années d’après-guerre est donc largement autobiographique et nombre de ses contemporains se retrouveront dans ses souvenirs de jeunesse qui se terminent avec mai 68.
Plus qu’une parenthèse, explique-t-elle, c’est « un trait d’union » entre une période où la femme subissait et le moment de prise en mains de son destin. Subir ne fut pas le cas de l’auteur, médecin cancérologue et féministe qui poussa comme ses congénères à la libération de la femme dans son travail et dans son corps. Ces batailles, Michèle Delaunay estime que sa génération les a largement gagnées. En d’autres termes, il n’y a pas eu seulement Moulinex pour libérer les femmes, mais bien plus encore la révolte de mai.
Les résultats de ce combat, sans cesse contestés, se doublent d’une autre révolution, celle de l’âge. De fait, c’est au tournant des années quatre-vingt que la « longévité », terme qu’elle juge préférable à celui moins valorisant de « vieillissement », introduit ce concept de « génération pivot » cher à la sociologue de la famille Martine Segalen. Cette fois la mère de famille, du fait de la crise de l’emploi et de l’allongement de la durée de vie se trouve prise entre deux feux : ses enfants qu’il faut aider et ses parents, voire ses grands-parents qu’il faut assister… Autant de facteurs qui compliquent la poursuite d’une activité et le développement d’une carrière.
Poursuivant son balayage du temps, Michèle Delaunay qui s’est engagée dans une carrière politique à partir de ses 60 ans jusqu’à devenir ministre déléguée aux Personnes âgées et à l’Autonomie, terme, là encore, qu’elle juge moins négatif que l’expression de « personnes dépendantes », nous livre ses réflexions sur le grand âge.
Avant même la pandémie actuelle, elle évoquait le fait que si la France a compté 24 millions de baby-boomers entre 1945 et 1973, date du premier choc pétrolier, 20 millions sont encore en vie. À l’échelle de l’humanité, c’est un phénomène sans précédent, mais qui peut générer, explique-t-elle, des problèmes psychologiques quand les membres de ces cohortes nombreuses de l’après-guerre verront disparaître brutalement leurs frères et sœurs, cousins, cousines et amis en très grand nombre. La canicule avait fait 1000 morts par jour supplémentaire. L’extinction des générations de baby-boomers en fera tomber deux fois plus chaque jour et pendant des années…
Naturellement il faut y penser pour s’y préparer, tout en se rappelant que cette longévité espérée, désirée, recherchée depuis la nuit des temps est une autre conquête dont ne peuvent que se féliciter ces générations. Le problème alors, et l’on retombe dans les préoccupations devenues celles d’aujourd’hui, c’est de savoir si l’on doit aller vers « l’ehpadisation » d’une partie de la société selon le mot d’un éditorialiste (« sous les pavés l’Ehpad », ironise l’auteur, qui travaille actuellement avec Dominique Libault sur le grand âge et l’autonomie) ou si l’on doit imaginer d’autres solutions permettant à chacun de rester citoyen jusqu’au bout et d’éviter une perte de liberté qui peut déboucher sur de la maltraitance. Cette fois, on le voit, on n’est plus très loin du débat actuel sur les modalités de déconfinement des plus âgés. D’où l’urgence de lire ce livre.
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