Stéphane Junique est président du Groupe Harmonie, président de Vyv3, la structure du groupe Vyv chargée de l’offre de soins et d’accompagnement et est, également, vice-président de la Mutualité française. Il répond à nos questions sur les problèmes mis en évidence par la crise et trace des pistes de solution.
La crise que nous traversons a-t-elle, de votre point de vue, mis en évidence des failles ou des points forts de notre système de santé ?
Cette crise révèle la nécessité de faire évoluer notre système de santé. Depuis des années, la santé n’est plus au cœur du débat public autrement que par les aspects budgétaires et de maîtrise des déficits. Si quelques acteurs, dont, d’ailleurs, la Mutualité française, ont cherché à en faire un enjeu prioritaire, nous n’avons pas réussi à le faire émerger suffisamment comme un sujet de société et de citoyenneté. Les évènements remettent la lumière sur la santé et la placent même en tête des priorités. Ne laissons pas passer cette occasion.
Le premier enseignement à tirer de la crise actuelle, c’est que notre société est de moins en moins prévoyante ce qui nous a empêchés une prise en charge à la hauteur de la situation. C’est pourquoi, la santé et les protections, au sens large, doivent être considérées comme de véritables investissements d’avenir. Une société qui prévoit est une société qui investit sur le temps long.
Le deuxième enseignement, c’est que nous avons touché les limites d’un système de prise en charge et d’accompagnement très segmenté et très cloisonné. Il y a eu du positif qui nous a permis de passer la crise. Je pense à la magnifique mobilisation des professionnels de santé, je pense au système hospitalier qui a plutôt bien résisté, alors même qu’il est confronté depuis des années à des problèmes de moyens. Mais la crise a été bien plus compliquée à gérer dans les établissements médico-sociaux. Ils ont manqué des équipements de protection individuelle nécessaires pour protéger tant les salariés que les résidents. Dans des régions où la tension était très grande, les résidents des Ehpad malades ou souffrants n’ont pu être accueillis par l’hôpital. C’était, en conséquence aux Ehpad d’assurer eux-mêmes cette prise en charge alors que rien ne les y préparait.
Le cloisonnement entre le sanitaire et le médico-social a montré ses limites. Il faut repenser leur articulation. Il y va de notre capacité à prendre en charge les fragilités liées au vieillissement ou à la perte d’autonomie. C’est un sujet majeur pour les années qui viennent.
À mon sens, il faudra faire évoluer les Ehpad pour en faire des structures plus ouvertes, avec une présence continue de professionnels de santé, avec des services pas forcément réservés aux résidents mais qui peuvent également être ouverts sur la ville.
Le troisième point saillant enfin, c’est que nous avons pu constater à quel point la non-reconnaissance et la non-revalorisation des professions du soin, de la santé et de l’accompagnement pèsent sur leur attractivité et sur les effectifs d’établissement qui peinent à recruter. Ce sont des métiers formidables mais éprouvants, le manque de moyens est un poids considérable pour ces professionnels. Ce sujet doit devenir une priorité dès les prochaines semaines.
Pensez-vous qu’il y a eu, ou non, un problème quant à l’accès aux soins autres que ceux dus à la pandémie ?
Par civisme, pour protéger les autres, ou par crainte, les Français ont très largement cessé de se soigner depuis le début de la crise. Les autorités sanitaires annoncent une chute de 51 % des consultations chez les médecins spécialistes et de 25 % chez les généralistes. Le professeur Jean-Yves Blay, président de la Fédération nationale des centres de lutte contre le cancer (CLCC, Unicancer) constate une diminution de 50% des consultations dans les centres anticancéreux. Il y a un risque réel de pertes de chance si nous ne reprenons pas rapidement les suivis médicaux et les soins habituels avant la crise.
Dans l’activité du groupe VYV, nous constatons nous aussi directement le renoncement aux soins qui a été trop souvent la règle ces dernières semaines. Les remboursements du régime obligatoire ont fortement diminué. Il en est de même pour les mutuelles : de l’ordre de 40 à 50 % pour Harmonie Mutuelle. C’est un indicateur de la faiblesse de l’accès aux professionnels de santé. Sur le périmètre de Vyv3, nous constatons une baisse significative d’un certain nombre de nos activités. Pour nos 350 fauteuils dentaires, cela représente 50 000 personnes en moins que la fréquentation moyenne habituelle. Négliger ainsi la santé bucco-dentaire c’est faire courir des risques d’altération générale de la santé.
De même, on observe une baisse de l’ordre de 70 % de nos transports sanitaires, même si ceux destinés à des chimiothérapies ou des radiothérapies ont été maintenus. Mais pour des personnes en ALD, cela signifie un renoncement à aller voir son kiné par exemple, avec des pathologies qui se développent en conséquence.
Nous avions pressenti ce phénomène et nous avons tenté de le limiter pour nos adhérents. Nos mutuelles ont mis en place des dispositifs de maintien de droits pour des personnes qui pouvaient arriver en fin de droits. Nos budgets d’action sociale ont été mobilisés pour faire face à des situations de difficultés d’accès aux soins qu’un certain nombre de nos adhérents pouvaient rencontrer. Nous avons, également, mis en place des chaînes de solidarité qui se traduisent par des appels à nos adhérents les plus fragiles. Un exemple en est les 25 000 appels quotidiens que passent aujourd’hui les bénévoles et les collaborateurs d’Harmonie avec pour objectif de pouvoir identifier les besoins en accès aux soins et de pouvoir y apporter des réponses.
Toutefois, le non-recours est désormais un phénomène massif, il faut permettre la reprise des soins sans attendre.
Oui, comment ?
Et il y a quatre leviers qui me semblent importants.
D’abord, nous devons communiquer massivement. Il faut dire à nos adhérents et à l’ensemble des Français que, malgré cette crise, il est important, lorsqu’il y a un doute sur son état de santé, de contacter son médecin.
Le deuxième levier, c’est la facilitation du recours à la téléconsultation. Chez Vyv, la fréquentation de la plateforme mesdocteurs.com a été multipliée par sept depuis le début du confinement. À cet égard, l’assurance maladie obligatoire doit pouvoir poursuive la prise en charge de ces actes de téléconsultation.
Le troisième levier, c’est de prolonger encore pour quelques mois les dispositifs de maintien d’accès aux droits des régimes obligatoire et complémentaire.
Le quatrième levier est la mise en place d’une consultation de fragilité en particulier destinée aux personnes en ALD ou avancées en âge. Cette consultation est à construire avec l’ensemble des partenaires du système de soins. Après cette longue période de confinement, ces personnes en ALD doivent pouvoir consulter un professionnel de santé pour mesurer leurs besoins en matière de santé et être orientées dans le cadre du parcours de soins ou d’accompagnement personnalisé. Harmonie Mutuelle est prête à avancer sur ce point très rapidement.
D’une façon générale, pensez-vous que cette crise amènera plus, ou moins, d’intervention de l’État dans ce domaine ?
Je suis persuadé que notre pays est très attaché à ce que la santé demeure une question portée par l’État et que cela demeure un sujet de solidarité nationale.
Pour autant, il faudra tirer les enseignements de cette crise pour aborder une nouvelle étape de déconcentration des services de l’Etat au plus près des réalités du terrain. Il faudra voir si un certain nombre de leviers ne pourraient pas être davantage confiés aux ARS. En outre, il faut, je pense, renforcer le lien entre ARS et collectivités territoriales, qui sont souvent en première ligne et qui se préoccupent de plus en plus de l’état de santé de leurs habitants. Enfin, le secteur médico-social doit être inscrit pleinement dans l’organisation de la réponse sanitaire, en tant que lieu de soins, en particulier dans les situations de crise.
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