Sécurité sociale

Jean-Jacques Dupeyroux incarnait « une certaine idée » de la Sécurité sociale. Il est décédé le 23 mai dernier à l’âge de 91 ans. Fidèle à ses convictions, cet homme, qui a passé ses dernières années à démêler les dossiers des prisonniers qu’il visitait plusieurs fois par semaine, aura poussé l’altruisme à l’extrême en léguant son corps à la médecine.
Originaire de Montpellier, fils d’un professeur de droit, il met ses pas dans ceux de son père. Après ses études à Toulouse, il « monte » à Paris où il décroche au (...)

 
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    Jean-Jacques Dupeyroux incarnait « une certaine idée » de la Sécurité sociale. Il est décédé le 23 mai dernier à l’âge de 91 ans. Fidèle à ses convictions, cet homme, qui a passé ses dernières années à démêler les dossiers des prisonniers qu’il visitait plusieurs fois par semaine, aura poussé l’altruisme à l’extrême en léguant son corps à la médecine.

    Originaire de Montpellier, fils d’un professeur de droit, il met ses pas dans ceux de son père. Après ses études à Toulouse, il « monte » à Paris où il décroche au terme de ses études de droit un doctorat, puis une agrégation. Professeur à la faculté de droit d’Alger en 1956, puis de Toulouse entre 1958 et 1966, il est nommé directeur des études à l’ENA entre 1966 et 1970.

    Pour des générations d’étudiants, il laisse en héritage « le Dupeyroux ». Une « bible », plutôt un ouvrage qui deviendra « un monument » au fils des ans. En 1962, il publie « Sécurité sociale », un précis Dalloz dont sortiront 8 éditions. En 1975, il étoffe son propos et publie « Droit de la Sécurité sociale », dont la quinzième édition sortira en 2015. Un livre culte pour tous les connaisseurs de la sécurité sociale et un vrai best-seller à une époque où les spécialistes de la matière se font encore très rares. Sur la même période, il reprend la « Revue Droit social » qu’il dirigera jusqu’en 1990.

    Jean-Jacques Dupeyroux, c’est son grand mérite, alliait une connaissance encyclopédique de son sujet à un grand talent de pédagogue. En fin de carrière, il supportait mal que ceux, auxquels il avait lui-même passé la main pour actualiser ses ouvrages, Rolande Ruellan, Michel Borgetto et Robert Lafore, taillent dans l’œuvre de toute une vie pour donner plus de place aux assurances complémentaires et à l’Europe. Puriste, c’était un intégriste de la sécurité sociale de 1945, un défenseur acharné de la solidarité. Pour accomplir jusqu’au bout son destin, il n’hésita jamais à se montrer transgressif.

    Dans ses choix politiques d’abord puisqu’il siégera avec rang de chargé de mission dans le cabinet de Robert Boulin, ministre du Travail et de la Participation entre avril 1978 et octobre 1979, puis dans celui de Claude Evin, ministre de la Santé et de la Sécurité sociale. Un coup à droite, un autre à gauche.

    Non aux « absurdités » !

    Transgressif encore, Jean-Jacques Dupeyroux qui avait très sévèrement critiqué dans Libération (17 janvier 1995) le rapport Minc – «  une nouvelle trahison des clercs  » – n’avait pas hésité à croiser dans le même temps le fer avec son ami Jean-Baptiste de Foucauld, commissaire au Plan (21 février 1995), accusé de «  défendre l’indéfendable  ».

    Objet de l’ire du spécialiste de la sécurité sociale : le point de vue d’Alain Minc sur les salaires. «  On connaît le thème à la mode, très chic  : la France « a choisi le chômage »... Plus précisément, des salariés sans cœur et des syndicats irresponsables ont fait porter leurs efforts sur l’amélioration du sort de ceux qui ont un emploi en n’hésitant pas à sacrifier ceux qui n’en ont point... » La preuve ? « Nos choix collectifs ont permis au smicard de voir doubler en vingt ans son niveau de vie alors que celui du salarié moyen augmentait de 60% ». Depuis deux siècles, la même obsession névrotique des nantis : les ouvriers se goinfrent. Et la commission Minc de conclure qu’il faudra désormais ne plus être aussi follement généreux à l’endroit des smicards. Ici deux observations : ­ Premièrement : le thème de « l’égoïsme » de ceux qui ont la chance d’avoir un emploi, thème sur lequel on minaude dans les salons, commence à devenir fastidieux. Qu’il faille bouleverser certaines règles du jeu, sans doute. Mais, s’agissant de travailleurs à faibles salaires qui sacrifient à la solidarité près de la moitié de la valeur de leur travail, l’accusation d’égoïsme est indécente. Pire : stupide.­ Deuxièmement : je veux bien que le principe même du Smic mérite un vrai débat. Au demeurant, Alain Minc lui-même, qui naguère se moquait cruellement des « cris d’orfraie » de ses défenseurs dans son ouvrage « Français, si vous osiez... », y voit aujourd’hui « un élément essentiel de la cohésion sociale » : volte-face qui suffit à montrer la complexité du problème... Encore convient-il d’en traiter avec rigueur, au lieu de nous raconter des fariboles sur l’évolution du mirifique niveau de vie du smicard... »

    Jean-Baptiste de Foucault ayant volé au secours de Minc, se prend donc à son tour une volée de bois vert : «  Le rapport affirme, pour en tirer argument, que le niveau de vie du smicard a doublé lors des vingt dernières années, alors que celui du salarié moyen augmentait de 60 %  ! Chiffres à l’appui, j’ai montré l’absurdité de telles assertions, absurdité qui saute aux yeux de quiconque s’intéresse, là encore, si peu que ce soit, aux problèmes du monde du travail. J.-B. F. répond que l’on a pris en compte... l’évolution du Smic brut, peu important l’alourdissement (drastique) des cotisations salariales, puisque celles-ci financent ‘d’ultérieures prestations’... Ainsi une augmentation, si massive soit-elle, des cotisations retenues sur son salaire, serait sans incidence sur ‘le niveau de vie’ d’un salarié  ?! On croit rêver. Ajoutons que les cotisations en question ne financent nullement ‘d’ultérieures prestations’, mais des prestations immédiatement versées à d’autres. Et que si l’on devait intégrer dans ‘le niveau de vie’ d’un salarié les prestations sociales dont il peut être un jour bénéficiaire, il faudrait alors inscrire à la baisse de ce niveau de vie la réduction quasi générale de ces prestations... Les prestations/chômage ont été sensiblement réduites en 1992, le salarié d’aujourd’hui percevra une pension de vieillesse qui risque fort d’être très amoindrie par la réforme de 1993. Bref, calculer l’évolution du ‘niveau de vie’ d’un salarié à partir de son salaire brut n’a strictement aucun sens ».

    L’homme on le voit avait son franc-parler et n’hésitait pas à prendre parti chaque fois qu’il lui paraissait qu’une injustice était en voie d’être commise ou qu’une affirmation ne correspondait pas à la réalité. Dans le monde des « fake news » d’aujourd’hui, alors que les acteurs de la vie politique et sociale s’apprêtent à remettre en cause un certain nombre de certitudes, une voix autorisée et forte comme celle de Jean-Jacques Dupeyroux nous aurait été fort utile pour y voir plus clair sur les fondamentaux de la sécurité sociale. Il va donc nous manquer cruellement.

    mm
  • Publié le 26 mai 2020
  • Mise à jour: 27 mai 2020
  • Dépèche n°33010

pastille cfc

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