Dans le cadre, ou en parallèle avec le « Ségur de la santé », le gouvernement a décidé de pousser des feux sur le dossier de la dépendance. En réalité, rien de bien neuf puisque cette question a été déjà largement débattue au niveau national, qu’elle a donné lieu à un rapport plutôt consensuel et qu’un projet de loi sur le sujet était attendu dès cet automne.
À l’origine de ce processus, il y avait eu au printemps 2018 un vaste mouvement social dans les Ehpad résultant du fait que si le nombre des lits avait augmenté de 20 % entre 2009 et 2018, les moyens en personnels et les financements n’avaient pas suivi. Réagissant au quart de tour, l’exécutif avait chargé Dominique Libault, ancien directeur de la sécurité sociale, mais surtout président du Haut conseil pour le financement de la sécurité sociale, de lui faire des propositions permettant de faire face au vieillissement de la population. Entre le 1er octobre 2018 et mars 2019, une vaste concertation s’est engagée au niveau national mobilisant tous les acteurs du système. Ateliers thématiques, rencontres bilatérales, forums régionaux, consultation citoyenne de plusieurs centaines de milliers de personnes avaient débouché sur la présentation d’un rapport riche de 175 propositions que l’on voit naturellement ressurgir aujourd’hui.
Priorité au « besoin d’être chez soi »
Le « rapport Libault » débutait par un constat : alors que l’on comptait un peu plus de 2 millions de personnes dépendantes en 2014, cette population augmenterait d’ici 2030 selon la Drees, de 15 % à 35 %, soit entre 200 000 et 410 000 personnes. Par la suite et jusqu’en 2050, la hausse s’accélèrerait avec plus de 40 000 personnes par an. Second terme du constat : en 2014, les dépenses pour les personnes âgées dépendantes se montaient à 30 Md€ financées, pour la santé (12,2 Md€) par la sécurité sociale, pour la dépendance (10,7 Md€) par la sécurité sociale, les collectivités locales et les ménages eux-mêmes et pour l’hébergement (7,1 Md€) par les collectivités locales, l’État et les ménages, ces derniers ayant à leur charge la moitié de cette dépense. Bref, une grande atomisation source d’opacité et d’incompréhension.
Toujours au niveau du constat le rapport insistait, outre sur l’importance du vieillissement (6,6% de 75 ans et plus en 1990 et 14,6 en 2040), sur la capacité des ménages à faire face aux dépenses d’hébergement en établissement, 80 % de la dépense relative au grand âge étant d’ores et déjà prise en charge par la solidarité nationale. Il notait aussi qu’en établissement comme à domicile d’importantes difficultés existent pour recruter et fidéliser un personnel qualifié et qu’il était donc « urgent » de restaurer l’attractivité des métiers dans ce secteur ; mais surtout un chiffre avait retenu l’attention : 80 % des Français estimaient qu’entrer en Ehpad c’était « perdre son autonomie de choix ». Ainsi était fortement affirmé un besoin d’être chez soi quelque soit son lieu de vie. Cette préoccupation rejoignait un autre constat : l’impossibilité de répondre par une augmentation de capacité des Ehpad au tsunami qui s’annonce du très grand âge.
Dont acte, mais cela n’empêche pas qu’il faudra rénover 23 % des Ehpad qui ne l’ont pas été depuis 25 ans et qu’il faut poser en grand la question du maintien à domicile : quel prix pour les services ? Quelle prise en charge du financement qui soit plus transparent que le système actuel ? Quel personnel et avec quelle qualification et quelles conditions de travail ? Le choix d’une couverture publique étant fait, comment mieux prendre en compte les ressources pour l’attribution des aides ? Comment mieux assurer la coordination des interventions autour de la personne pour éviter les ruptures de parcours ou les défauts de prévention et d’isolement ? On le voit, le rapport Libault, enrichi de très nombreux témoignages, « balayait large ». D’où le très grand nombre de propositions.
Une année d’immobilisme sur le dossier
L’idée centrale du rapport est de changer le regard sur le grand âge, d’en revenir par conséquent à cette recommandation qui figurait dans le rapport sur le vieillissement rédigé par Pierre Laroque dès 1962 : « respecter le besoin qu’éprouvent les personnes âgée de conserver leur place dans une société normale, d’être mêlés constamment à des adultes et à des enfants ». On ne s’attardera pas ici sur toutes les mesures qui permettraient de réaffirmer le droit au libre choix des personnes âgées ou encore d’aider les proches aidants à mettre en œuvre un modèle d’accompagnement et de soin associant démarches citoyennes et démarches professionnelles. Le mérite de la consultation citoyenne avait précisément été de faire remonter à la surface quantité d’innovations locales qui, en fonction des contextes mériteraient d’être expérimentées, voire de faire école ailleurs.
Une seconde priorité était soulignée dans le rapport, cohérente avec la précédente : construire une nouvelle offre d’accompagnement et de soin recentrée sur le domicile. Réformer les modalités de financement des Services d’aide à domicile (SAAD) ; développer des modes d’habitat intermédiaires (prêts locatifs pour les résidences autonomie dont les procédures d’ouverture doivent être simplifiées, l’habitat inclusif, les résidences services…), des établissements territoriaux constituant des « centres de ressources du grand âge », des accueils de jour itinérants ; développer la télémédecine boostée par la crise sanitaire ; décloisonner structures de soins infirmiers à domiciles (SSIAD) et services d’aide à domicile (SAAD) ; regrouper les opérateurs d’Ehpad et les détacher des centres hospitaliers, bref réorganiser l’offre en mettant en place un pilotage par la qualité. A la clé, la mise en place d’un plan de rénovation des établissements ; la labellisation pour la qualité de vie au travail, la prévention et la formation ; la définition d’un référentiel permettant d’évaluer les structures sous la houlette de la HAS et d’indicateurs devant figurer dans les tableaux de bord des établissements ; la mesure de la dépense départementale pour els plus de 75 ans… La liste des actions possibles est évidemment très longue, de très nombreuses expériences étant déjà conduites sur ces questions au plan local du fait de l’éloignement des ARS des besoins de proximité depuis la réforme des régions de 2009.
L’amélioration des conditions de vie des personnes âgées faisait aussi l’objet de longs développements notamment pour tout ce qui concerne la revalorisation des métiers. Là encore rien de bien nouveau puisque début février, Olivier Véran avait inauguré sa fonction de ministre de la santé en promettant à la présidente de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), Marie-Anne Montchamp, et à l’ancienne ministre Myriam El Khomri, auteure d’un rapport sur la revalorisation des métiers du grand âge, de développer une enveloppe de 20 millions d’euros pour répondre aux besoins énoncés dans le rapport. Suffisant ? Pour Dominique Libault, que nous avons interrogé, ce n’est qu’un début, le problème étant selon lui que depuis la publication de son rapport en mars 2009, le dossier de la dépendance était resté largement au point mort du fait de la mobilisation d’Agnès Buzyn sur la réforme de la santé d’abord en attendant, et du débat envahissant sur la réforme des retraites.
Une assurance privée obligatoire n’est pas dans les tuyaux…
Un an plus tard, la crise sanitaire conduit à sortir le dossier de la dépendance de l’ornière, l’une des principales propositions du rapport Libault étant reprise par l’exécutif, à savoir la reconnaissance d’un risque à part entière qui présenterait l’avantage d’homogénéiser sur le territoire les modalités d’information sur les droits ; de définir précisément le contour et les modalités de distribution des prestations publiques « couvrant très largement le risque avéré » ; de garantir une égalité de traitement de tous les bénéficiaires ; d’assurer une solidarité financière publique entre les personnes couvertes ; de garantir la transparence et la régularité du processus de décision concernant le risque. Officiellement, le gouvernement part sur cette base, sauf que l’environnement financier de la protection sociale ayant changé du tout au tout avec la crise sanitaire, les modalités de financement imaginées en 2019 apparaissent pour partie dépassées.
Il y a quinze mois, le rapport prévoyait de financer les dépenses du nouveau risque dépendance de 2020 à 2024 en lui affectant des excédents du régime général (quote-part de CSG à destination de la CNSA et fraction du produit de la sous-indexation des pensions prévue en 2020), en fléchant vers la dépendance une enveloppe de l’Ondam (Objectif national des dépenses d’assurance maladie) et en organisant un premier décaissement du fonds de réserve des retraites cette opération étant reconduite chaque année jusqu’en 2030. À partir de 2024, puisque la Cades devait avoir disparu par assèchement de la dette, on aurait affecté à la dépendance le produit de la CRDS : 9 Md€ en 2015.
Ce scénario idéal s’est bien sûr envolé et se pose la question de savoir quels financements mobiliser à l’échéance de 2024. Officiellement Dominique Libault campe sur son refus de compléter l’effort public par une assurance privée obligatoire. C’est peut-être aussi la position d’Emmanuel Macron qui devra alors résister aux pressions de la Mutualité – qui fait aujourd’hui cause commune avec la CFDT pour d’autres modalités de financement que celles imaginées par les pouvoirs publics – et de l’Ocirp qui font le pari que l’État et la sécurité sociale ne pouvant faire face à une dépenses de 10 Md€ par an, il faudra nécessairement en passer par un complément du secteur privé. A ce niveau, c’est un choix politique majeur que devra opérer l’Élysée pour satisfaire une proposition qui figurait dans le programme Macron.
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