Olivier Selmati a pris la direction de la Cipav (caisse de retraite interprofessionnelle) en 2015. Il a donc géré le rattachement au tout nouveau régime de SSI (sécurité sociale des indépendants) de nombreux libéraux, le périmètre de sa caisse étant réduit à 20 professions. Avec un rapport démographique très favorable, il peut aujourd’hui envisager de se développer sur de nouveaux créneaux, mais en veillant soigneusement à l’état de ses réserves financières (10 milliards d’euros actuellement) qui doivent lui permettre de faire face à 18 milliards d’euros d’engagements.
Votre caisse de retraite et de prévoyance a décidé, le 22 mai dernier, d’attribuer une aide financière exceptionnelle pour l’ensemble de ses adhérents, pour un coût de 500 millions d’euros. On voit bien l’intérêt de cette mesure pour les professions que vous représentez, mais on mesure moins bien l’effort que cela représente pour une institution comme la vôtre qui reste globalement assez mal connue.
Notre caisse est méconnue parce qu’elle a une histoire compliquée. Il faut d’abord rappeler qu’elle n’est qu’une de dix sections de la Caisse nationale d’assurance vieillesse des professions libérales. Avec aujourd’hui encore près de 500 000 adhérents, c’est même la section la plus importante. Mais c’est surtout la seule section de la CNAVPL qui reste interprofessionnelle. Elle a trois activités. La retraite de base et elle verse à ce titre le même niveau de prestations à ses adhérents que les autres sections. Une retraite complémentaire et une activité prévoyance. Je reviendrai sur ces trois points.
Notre caisse est née en 1978. Elle était à l’origine dédiée aux seuls professionnels libéraux du bâti, autrement dit, aux architectes et géomètres experts, soit environ 50 000 cotisants. Au fil des ans, elle a intégré des représentants de près de 400 professions bien-être, cadre de vie, conseil, arts et spectacles, sport, tourisme...
En somme, c’était devenu la « caisse balai » des professions libérales…
Un peu. Mais le mouvement ne s’est pas arrêté là. Elle a encore absorbé la Carge (caisse des géomètres experts), la Crea (enseignement des arts appliqués), les moniteurs de ski, les ostéopathes, Le nombre de cotisants a alors passé le cap du million. Un nouveau coup d’accélérateur s’est produit en 2010 avec l’adhésion de 91 000 auto-entrepreneurs dès la première année. En 2017, trois cotisants sur cinq étaient auto-entrepreneurs.
En 2018, avec la fin du régime spécial des indépendants et la mise en place du régime SSI (sécurité sociale des indépendants), la loi de financement de la Sécurité sociale, dans son article 15, a réduit le périmètre de notre caisse à 20 professions seulement (architectes, artistes non affilés à la maison des artistes, experts en automobiles, ingénieurs conseil, moniteurs de ski, ostéopathes, mandataires judiciaires, conférenciers…). Si l’on ajoute à cela que sur nos 1,4 millions de cotisants, 800 000 ont été radiés d’un coup parce nombre d’entre eux n’exerçaient plus une activité professionnelle libérale, nous avons perdu près des deux tiers de nos cotisants. Il y avait une certaine logique à ce « reclassement ». Mais si la radiation s’applique pour l’avenir, nous avons dans nos comptes 18 milliards d’euros d’engagements pour les retraites futures de nos radiés.
Aucune compensation n’est prévue ?
Si, mais la LFSS 2018 dans son article 15 ne la prévoit pas avant 2022. En effet, un droit d’option est prévu pour permettre aux adhérents d’aller éventuellement au régime SSI. À ce jour, 20 personnes seulement ont fait ce choix...
Quel est l’état de vos comptes aujourd’hui ?
Nous encaissons chaque année près d’1,5 milliard d’euros de cotisations et nous versons 650 millions d’euros de prestations. Notre rapport démographique très favorable – plus de 5 cotisants pour 1 bénéficiaire – nous permet de disposer d’un excédent technique de l’ordre de 500 millions d’euros par an et de près de 10 milliards de réserves. Mais encore une fois, pour faire face aux engagements de 1,4 milliard de cotisants ! J’ajoute que nos réserves suivent des règles de placement très classiques : 60 % en obligations, 30 % en actions et 10 % en immobilier.
J’imagine que ce passé agité explique pourquoi la Cipav dans le passé avait des difficultés relationnelles avec ses adhérents.
Il n’était sans doute pas facile de faire fonctionner une caisse aussi « composite ». Dès ma prise de fonction, en 2015, différentes mesures ont été prises qui se sont traduites par des améliorations très sensibles dont notre dernier rapport d’activité porte témoignage. D’abord nous avons amélioré notre dispositif d’accueil en région avec la mise en place de « points d’accueil régionaux » (PAR) dans six grandes villes et la multiplication de « réunions de région » (RER). Un effort considérable a été fait pour augmenter l’efficacité du traitement des dossiers : seulement 42 % des dossiers étaient traités en moins de 3 mois en 2015. Fin 2017, le pourcentage était porté à 75 % ; le stock des dossiers non traités était de 65 000 en 2014. Il est tombé à 21 000 en 2017 ; le taux de recouvrement des cotisations qui était de 64 % en 2014 a été porté à 85 % en 2017. À cela s’ajoute, la mise en place d’un site internet axé sur l’utilisateur et la définition d’un projet d’entreprise triennal, Peps’ (« Pour encore plus de services »), dont nous attendons beaucoup.
Vous vous êtes signalé l’an dernier en ne vous opposant pas à la réforme des retraites. Comment voyez-vous l’avenir sur ce dossier ?
Nous étions dans une situation singulière. Aussi bien pour la retraite de base que pour la retraite complémentaire, nous fonctionnons en points. Nous mesurons donc l’intérêt d’une telle formule. Cela dit, nous sommes évidemment conscients qu’à court terme la réforme est compromise. Tout au plus pourra-t-on aller vers un rapprochement entre l’assurance vieillesse et les régimes Agirc-Arrco.
Je vous rappelle que si nous n’avons pas émis de réserve sur l’intégration des régimes dans un régime universel, nous avions aussi fait part de nos préoccupations sur trois points. D’abord, sur l’alignement des taux de cotisations à 28,12 %, dont 25,31 % de cotisations plafonnées et 2,81 % de cotisations déplafonnées non génératrices de droits. Ce système nous posait problème car, au regard des barèmes en vigueur à la Cipav, ce taux pouvait conduire à une explosion du montant des cotisations. Ensuite, une autre inquiétude concernait l’affectation des réserves constituées par les caisses. Fonctionnant par répartition, elles ne sont pas tenues de constituer des réserves. Les cotisations de l’année doivent servir à financer les prestations payées dans l’année. Les engagements de retraite issus du passé doivent donc uniquement être honorés par les cotisations de l’année. La Cipav, par une gestion prudente et efficace, a fait le choix de constituer des réserves pour le compte de ses adhérents afin de lisser et de se prémunir contre les aléas économiques et démographiques de sa population. D’autres choix étaient possibles. Pour notre part, il nous semblait pertinent que les réserves de la Cipav permettent de financer le plan de convergence plutôt que d’apporter un financement à l’ensemble du système, qui équivalait à une double pénalité pour les professions libérales. Enfin, la Cipav se montrait vigilante sur la représentation des professionnels libéraux dans les instances de gouvernance du système universel.
Avez-vous aujourd’hui d’autres projets de développement ?
En matière de prévoyance, nous envisageons de mettre en place au-delà de la couverture invalidité-décès, un système complémentaire allant au-delà des 90 jours pour les indemnités journalières. Mais nous le ferons en tenant compte des demandes spécifiques des professions libérales. En retraite, nous n’écartons pas l’idée de développer des formules en capitalisation. Sur la dépendance, il ne serait pas sain de la financer par de la dette. Si l’idée de constituer un nouveau « risque » prend corps, il faudra réfléchir à l’idée de constituer des réserves pour pallier l’inconvénient de périodes de versement de cotisations relativement courtes. En tout cas, si on se fie à la sociologie de nos adhérents, il faudrait aller vers un contrat de base obligatoire, la question restant posée de savoir qui cotise et à partir de quel âge.
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