De nombreux responsables du monde complémentaire s’y attendait, voilà qui est fait. Olivier Véran et Gérald Darmanin ont adressé le 5 juin un courrier, que le Fil-Social a pu consulter, aux différentes familles (FFA, FNMF, CTIP) pour que celles-ci proposent, « d’ici mi-juin , une proposition de participation financière aux coûts des mesures de prise en charge à 100 % de certaines dépenses par l’ assurance maladie et des différentes mesures d’aides ou de soutien mises en place au profit des professionnels et établissements de santé ». Il faut assumer aujourd’hui le « quel que soit le coût » des propos présidentiels.
Pour les ministres donc, « il est primordial que les organismes complémentaires s’engagent aux côtés de l’Etat et de l’assurance maladie pour soutenir notre système de protection sociale dont l’importance est particulièrement cruciale en temps de crise sanitaire ou économique ».
Après avoir indiqué que les organismes complémentaires « doivent prendre leur juste part à l’ effort consenti pour soutenir les professionnels et les établissements de santé massivement impactés par l’épidémie », ils précisent que ces organismes « ne peuvent en aucune façon tirer un bénéfice économique de cette crise ». Un constat partagé, même si cette petite phrase est ressentie par certains comme particulièrement blessante.
Le raisonnement est étayé par les statistiques de dépenses du régime général. Le gouvernement indique que « les moindres dépenses de soins pour les organismes complémentaires, liées à la baisse de la consommation de soins pendant la phase de confinement, représentent plus de 300 M€ par semaine sur la période du 23 mars à début mai. S’y ajoutent l’impact de la suppression du ticket modérateur laissé à la charge de l’assuré, décidée dans un souci de simplification des mécanismes de rémunération des professionnels de santé et afin de dispenser systématiquement les assurés d’avoir à faire l’avance des frais, ainsi que le report de certaines réformes ayant un impact sur celui-ci notamment sur les actes et consultations externes à l’hôpital. Au total, ces moindres dépenses représenteraient environ 60 % des dépenses globales de soins en temps normal des organismes complémentaires ».
Anticipant les réactions, le courrier mentionne bien les mesures de solidarité déjà prises et la participation aux fonds d’urgence, mais le message est clair : ce n’est pas suffisant…
Cette démarche ne manquera pas de soulever un certain nombre d’interrogations, même s’il est délicat d’apparaître comme des « réfractaires à la solidarité ».
Ainsi, les « moindres dépenses » évoquées ne tiennent pas compte de l’effet rebond attendu à la fois sur les soins non urgents reportés, et ceux liés, à moyen terme, au Covid-19. Déjà, selon une étude du courtier Gerep, la consommation de soins serait presque revenue à la normale fin mai, avec un « effet de rattrapage » en optique et en dentaire (voir Fil-Social n°33133).
Ensuite, nous explique un acteur de la prévoyance, « c’est oublier un peu vite qu’une autre crise est devant nous ». Augmentation du chômage et des impayés de cotisations, effet de la portabilité, méconnaissance des effets à moyen et long terme de la crise sont autant d’éléments qui incitent les gestionnaires à la prudence.
Enfin, rappelle un mutualiste, « nous ne sommes pas dans un espace de liberté, nos activités sont contraintes et l’ACPR veille au respect des normes prudentielles ».
Sans oublier que si la demande s’adresse aux « familles », celles-ci n’ont pas la capacité de contribuer directement et que ce seront bien les organismes qui devront supporter cette nouvelle contribution. Enfin, pas vraiment, car sauf à imaginer un dispositif qui s’apparenterait à une « nationalisation des Ocam », c’est bien l’utilisateur final, qu’il soit souscripteur individuel ou collectif qui se verra répercuter la dépense supplémentaire. Et on peut imaginer que, « dans un souci de lisibilité et de transparence, nous indiquions clairement que la hausse des cotisations sont à mettre à l’actif des pouvoirs publics » indique sans ironie aucune un responsable mutualiste évoquant le récent arrêté sur les frais de gestion.
Bref, on peut penser que les réponses au courrier ministériel manqueront d’enthousiasme. Et d’aucuns envisagent donc une "taxe-covid" pour le PLFSS d’automne...
Quelles réactions ?
La situation des deux familles du non lucratif est assez différente. D’abord parce que le portefeuille de la mutualité est très axé sur l’individuel. Ensuite parce que les mutuelles de la FNMF, la fédération l’a encore récemment rappelé, gèrent un grand nombre d’établissements de santé qui ont massivement répondu présents au plus fort de la crise. Certains peuvent penser qu’un effort de soutien aux professionnels de santé est déjà intervenu à cette occasion. Du coté des paritaires, le portefeuille est fragilisé par le nombre possible de défaillances d’entreprise et ses conséquences immédiates sur le niveau des prestations (notamment avec la portabilité), et des cotisations.
Rue de Vaugirard, on évoque une réponse prenant acte de la demande, et mettant en avant une indispensable étude des effets réels sur les mutuelles. Déjà, la fédération a décidé de rembourser les dépenses prises en charge par l’assurance-maladie et relevant normalement des complémentaires, diminuant l’impact de l’argumentaire ministériel. Le CTIP devrait réunir prochainement ses instances pour prendre une position qu’on peut d’ores et déjà imaginer assez prudente.
Chacun a conscience que les marges de manœuvre sont très étroites. « L’image de l’assurance en général est particulièrement dégradée avec le dossier des prises en charge des pertes d’exploitation, même si c’est éloigné de la santé, et il faut s’attendre à ce que en soit qu’au début d’un processus » commente un fin connaisseur du dossier.
mm