Pendant la crise, le système de protection sociale a tenu le choc. Mais avec quelles conséquences ? Le Fil-Social fait le panorama des dossiers sur le bureau de Jean Castex.
Pendant la crise, le système de protection sociale a tenu le choc. Mais avec quelles conséquences ? Le Fil-Social fait le panorama des dossiers sur le bureau de Jean Castex.
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« La sécurité sociale est un plan complet visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence dans tous les cas où ils sont incapables de se les procurer par leur travail ». Cette profession de foi constitue la 5e orientation du plan d’action du Conseil national de la Résistance en date de 15 mars 1944. Trois quarts de siècle plus tard, notre système de protection sociale ayant permis de faire face à la pire crise sanitaire de l’Histoire, ce modèle, n’en déplaise à ses détracteurs, demeure pertinent.
Non seulement l’organisation du système de soins a permis de répondre aux besoins de la population, sans même qu’on fasse appel à la réserve sanitaire (exception faite dans le cas particulier de la Guyane) et que les hôpitaux soient submergés. Mais les revenus des salariés ont à peu de chose près été maintenus grâce à une politique dynamique d’indemnisation du chômage partiel, les revenus des fonctionnaires et des retraités étaient quant à eux intégralement préservés. C’est loin d’être le cas dans la plupart des pays du monde. Bien évidemment des « bavures » dans quelques rares cas ont été observées, mais globalement le système a bien résisté.
Dix ans pour financer la dette
À quel prix, c’est une première question ? Des chiffres circulent sur le coût pour la branche maladie de la politique conduite. On l’estime à ce jour à quelque 40, voire 50 Md€. C’est évidemment beaucoup. Encore faut-il relativiser. Quand certains parlent d’une « énorme » facture avec des trémolos à la pointe du stylo, ils oublient deux choses. D’une part, on partait d’une situation financière assainie à la sécurité sociale puisqu’on frisait l’équilibre financier à la fin de 2018. Même si la crise des « gilets jaunes » avait compliqué la donne en 2019, l’objectif de l’équilibre à très court terme restait en vue, ce qui n’est plus du tout le cas aujourd’hui. D’autre part, il faut rappeler qu’après Lionel Jospin et Philipe Douste-Blazy qui s’étaient accommodés de déficits en série à l’assurance maladie, Nicolas Sarkozy abordait la crise financière de 2007-2008 en très mauvaise posture. Moyennant quoi, la dette sociale était portée au chiffre extravagant de 260 Md € au tournant des années 2010, soit presque l’équivalent d’une année pleine de dépenses d’assurance maladie. C’est beaucoup plus qu’aujourd’hui. Le mérite reviendra à François Hollande et à Emmanuel Macron, sous la pression constate il est vrai de la Cour des comptes, de revenir à l’équilibre financier.
Tel Sisyphe, le gouvernement va donc devoir rouler une nouvelle fois le rocher de la dette au sommet de la montagne. Et aux mêmes maux, les mêmes remèdes. Alors que le gouvernement avait programmé pour 2024 la fermeture de la Cades (Caisse d’amortissement de la dette sociale créée par Alain Juppé en 1996), les parlementaires ont adopté une loi reportant la fin de la Cades à 2032. En d’autres termes, on continuera pendant dix années supplémentaires à affecter une fraction de CSG (contribution sociale généralisée), dont une partie sera fléchée en 2024 vers la dépendance, du FRR (fonds de réserve des retraites), de la CRDS (contribution de remboursement de la dette sociale), le tout complété par des emprunts souscrits sur les marchés internationaux à des taux pour le moment avantageux. Objectif, amortir sur une dizaine d’années une nouvelle dette sociale réévaluée à hauteur de 136 Md €. Et on croisera les doigts pour qu’on en reste là…
Car bien évidemment le gouvernement construit l’avenir pour le moment sur des sables mouvants. En espérant que le Covid 19 ne fera pas l’objet d’un rebond dans l’Hexagone dans les prochains mois ; que les revalorisations pour les personnels soignants ne déraperont pas ; que la croissance économique sera au rendez-vous au moins en 2021 comme le prévoient les experts… Trois inconnues donc, auxquelles il faut ajouter le coût prévisible, mais difficile à chiffrer, d’une remise en ordre de l’hôpital public, d’une réorganisation territoriale du système de soins passant par une redéfinition des rôles entre départements et Agences régionales de santé, bref d’une véritable refondation dont chacun sent bien qu’elle aura un coût.
Sur la retraite, Macron ne lâche rien
Second dossier difficile : la réforme des retraites. C’était mal connaître Emmanuel Macron de penser qu’il renoncerait à son grand dessein. Certes les syndicats, avant comme après la crise, restent vent debout contre une réforme qu’ils combattent pour les uns au nom de la défense d’intérêts catégoriels, pour d’autres pour préserver un système de gouvernance qui leur est profitable, pour d’autres encore – comme la CFDT – parce qu’il y aurait plus urgent à faire. À la recherche d’un point d’équilibre entre les parties prenantes, celui qui fut conseiller social de Raymond Barre et de Nicolas Sarkozy, autrement dit Raymond Soubie, préconisait, le 7 juillet sur LCI, de réaliser ce qui fait consensus et de remettre à plus tard le reste. Le problème toutefois demeure que rien ne fait consensus, pas même de limiter dans un premier temps la réforme à un rapprochement entre l’assurance vieillesse et les régimes complémentaires désormais fusionnés dans l’Agirc-Arrco.
À l’opposé des partisans du statu quo il y a ceux qui détaillent trois arguments pour qu’on avance. D’abord, ce qui était vrai avant la crise sanitaire reste vrai à savoir que la mise en place d’un régime universel en points introduirait plus de justice dans le système. On imagine mal le président de la République renoncer à ce point clé d’un programme sur lequel il a été démocratiquement élu en 2017. Ensuite, si l’évolution démographique menace à terme l’évolution démographique des régimes, c’est évidemment encore plus vrai après la crise sanitaire, aussi bien pour le système de retraite des salariés qui affiche un besoin de financement supplémentaire de 24,8 Md € du fait des cotisations non rentrées dans les caisses, que pour le régime Agirc-Arrco qui fait état de 10 Md € de manque à gagner. Autre manière de mesurer l’impact de la crise sur le système des retraites : du fait de la baisse du PIB, les retraites qui représentaient 13,7 % du PIB avant le Covid en représentent aujourd’hui 15,5%.
Enfin, alors que sévissait la crise sanitaire, trois réformes sont intervenues sur lesquelles les syndicats ont soigneusement fait silence. D’abord, les assemblées ont voté à l’unanimité une proposition communiste, mais qui figurait dans la réforme Macron, visant à porter le minimum des retraites agricoles à 85 % du Smic, soit une augmentation moyenne mensuelle de 150 €. Ensuite, la réforme du RSI (régime social des indépendants), souhaitée par l’ensemble des partis politiques en 2017, a suivi son cours et le nouveau régime des indépendants s’est paisiblement intégré dans l’assurance vieillesse. Cette opération s’est doublée d’une redéfinition du périmètre d’autres régimes, dont celui de la Cipav (première caisse de retraite des professions libérales), qui a perdu des centaines de milliers d’autoentrepreneurs. Enfin, une remise en ordre du régime des artistes-auteurs (Agessa) a été opérée fin 2019, l’Urssaf du Limousin lançant actuellement ses appels à cotisations aux adhérents à ce régime.
Risque dépendance ou 5e branche, financement public ou mixte ?
Troisième dossier important : la mise en place d’une couverture du risque de perte d’autonomie. Contrairement aux apparences ce n’est pas la crise du Covid 19 qui a placé cette question au centre de l’actualité, mais la grève des personnels des Ehpad de mars 2018. D’ailleurs, toutes proportions gardées, la crise sanitaire a eu un impact plus limité dans les Ehpad que n’en avait eu la canicule de 2003. À l’époque, on estime que 15 000 personnes âgées en établissement ont été victimes de l’été caniculaire. Aujourd’hui, avec une capacité d’hébergement augmentée de 20 % et un âge moyen des résidents plus élevé en moyenne de 4 ans, le chiffre officiel de la surmortalité tourne autour de 10 000 personnes. Mieux préparé à affronter une situation difficile, le personnel a su faire face, quitte à se confiner parfois avec les personnes âgées.
Pour l’avenir, le rapport Libault est sur la table. Élaboré à partir de l’automne 2018, il a été débattu au plan national en 2019 et a fait l’objet d’un accueil plutôt consensuel. Cette contribution intitulée « Concertation grand âge autonomie » met l’accent sur l’hébergement à domicile plébiscité par plus de 80 % des Français. Il faut donc s’y préparer, sans précipitation mais sans tarder, car au-delà de la rénovation de l’habitat, d’une diversification des modes d’hébergement et des transports, d’une amélioration de l’accès aux soins, il faut créer une filière d’emplois qualifiés, donc bien rémunérés. Objectif : prendre le relais des aidantes qui seront deux fois moins nombreuses demain qu’aujourd’hui, alors que le nombre de personnes dépendantes de la génération du baby-boom sera multiplié par trois.
Au-delà, deux questions doivent encore être tranchées. Faut-il s’en tenir à un risque rattaché à l’assurance maladie, comme le demandent FO et la CGT, ou faut-il s’orienter vers une cinquième branche de sécurité sociale gérée par la CNSA (caisse nationale solidarité autonomie) dans laquelle on traiterait toutes les questions (logement, accès aux soins, vieillissement) intéressant les personnes âgées et/ou handicapées, comme le préconisait le rapport Libault ? Une réponse définitive n’interviendra qu’à l’automne, le gouvernement devant remettre un rapport circonstancié sur cette question au Parlement avant le 30 septembre. Second sujet tout aussi délicat : doit-on s’en tenir à une assurance obligatoire publique comme le préconise le rapport Libault ou ouvrir ce marché du très grand âge aux opérateurs privés, les institutions de prévoyance, notamment l’Ocirp, et les mutuelles, ayant fait acte de candidature ? La question a naturellement changé de nature avec la crise sanitaire. Dans son rapport Dominique Libault précisait que le besoin de financement se montait à 10 Md € par an d’ici à 2030. Mais si la CRDS reste à la Cades pour satisfaire à l’objectif de désendettement social et que l’on ne flèche vers la dépendance que 0,2 % de CGG, soit 1,5 Md €, on reste très loin du compte. À supposer que la contribution publique ne soit pas à la hauteur des besoins, il faudra bien trouver ailleurs des financements. Risque ou branche, financement public ou ouverture au privé ? C’est à ces deux questions qu’il faut répondre.
Quel avenir pour l’assurance chômage ?
Si l’endettement de la sécurité sociale apparaît surmontable, sous certaines conditions, il n’en va pas de même pour l’assurance chômage. Avant la crise sanitaire elle affichait un endettement déjà considérable de 35 Md € au regard des 41 Md € d’allocations versées. La politique d’indemnisation massive du chômage partiel porte la facture à 60 Md €, voire plus si l’activité économique tarde à reprendre et que les plans sociaux se multiplient. Aucun régime social ne peut évidemment vivre avec une dette aussi importante, qui conduit à des frais financiers considérables. Président de la Cades et spécialiste des questions de Sécurité sociale, Jean-Louis Rey, se demande s’il n’aurait pas été préférable de profiter de la situation des taux d’intérêt pour affecter à la Cades une partie de la dette de l’Unedic. Le faire cependant, c’est acter très officiellement le fait que l’assurance chômage devient à son tour une branche de la sécurité sociale. Mais n’est-ce pas déjà un secret de Polichinelle ?
En dehors du fait que la plupart de nos voisins européens dont l’Allemagne ont fait de l’assurance chômage une branche de leur sécurité sociale, plusieurs évolutions en France conduisent à ce type d’évolution. Dès 1984, Pierre Bérégovoy donne un coup de canif dans ce symbole du paritarisme en imposant qu’on distingue assurance et solidarité. En 2008, Nicolas Sakozy rapproche Assedic et ANPE et créée Pôle emploi. À partir de 2018, alors que l’assurance chômage s’ouvre à de nouveaux publics (indépendants et démissionnaires), Emmanuel Macron remplace en deux temps la part salariale des cotisations par de la CSG. Cette évolution est d’autant plus inéluctable que les partenaires sociaux invités en 2018 à négocier un rééquilibrage financier du régime se montrent incapables de parvenir à un accord avec le patronat et s’en remettent à l’État… auquel on reprochera ensuite de prendre seul les décisions.
Partant de là, la gestion paritaire a-t-elle vécue ? On se gardera bien d’apporter une réponse définitive à pareille question. Toutefois, force est de constater que lorsque François Hommeril, président de la CFE-CGC, tient un discours définitif pour s’opposer à la généralisation des points, c’est pour préserver l’existence d’un régime Agirc par points qui fonde la légitimité de son syndicat. FO de son côté est bloqué sur la défense de ses fonctionnaires et la CGT sur celle des agents des entreprises publiques. Quant à la CFDT elle-même, elle entend préserver son rôle à la tête de l’Unedic.
Pour autant et « en même temps », la CFDT, FO et l’Unsa ont donné un accord de principe au plan de revalorisation des revenus des soignants. La CGT s’y est dite plutôt opposée ayant déjà programmé une journée d’action sur le sujet en septembre… Cette « bunkerisation » d’une centrale syndicale qui mène ses derniers combats emblématiques (comme celui de Prestalis qui a conduit à priver les lecteurs de province de leur quotidien favori pendant la durée du confinement), ne sert évidemment pas la cause de ceux qui militent pour une revitalisation du dialogue social et pour la préservation d’outils qui ont fait leur preuve.
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