Alors que le gouvernement s’apprête à durcir encore le dispositif de confinement pour freiner la progression de l’épidémie, le moment n’est évidemment pas venu d’établir la responsabilité de tel ou tel dans les incohérences, réelles ou supposées, observées dans la gestion de notre système de soins. La priorité doit être donnée à la lutte contre le coronavirus. Tous les efforts doivent être concentrés sur cet objectif. Rien ne doit être fait qui complique la tâche des responsables politiques et scientifiques en charge des décisions à prendre pour sortir au plus vite le pays de cette situation.
La retenue est d’autant plus de mise dans un tel domaine qu’une analyse du passé montre qu’en réalité les responsabilités sont très largement partagées dans les dysfonctionnements observés.
Prenons le cas des hôpitaux. Il y a une semaine, Ségolène Royal sur le plateau de TF1 s’en prenait vigoureusement au gouvernement actuel coupable, selon elle, de n’avoir pas apporté de réponses au malaise qui grandissait dans les hôpitaux. Son propos passait pourtant sous silence le fait que les difficultés des hôpitaux publics ne sont pas apparues ces trois dernières années. Ainsi, les problèmes dans les services d’urgence remontent au moins à 1993, année de la publication du rapport Steg, qui dénonçait déjà leur engorgement.
Bien évidemment, l’application par Martine Aubry des 35 heures dans tous les hôpitaux, au début des années 2000 a amplifié la désorganisation de l’hôpital public et cela de deux façons. D’un côté, pour des raisons budgétaires les directeurs ne procéderont jamais aux embauches nécessaires pour assurer le maintien de la qualité de soins aux patients. On s’en remettra à une politique d’heures supplémentaires dont il apparaîtra quelques années plus tard qu’elle constituait une véritable « bombe à retardement ». De l’autre, les praticiens libéraux, en se mettant à leur tour au régime des RTT, porteront un coup fatal, quoi qu’en disent leurs syndicats, au régime des gardes et des astreintes, compliquant encore la tâche des services d’urgence.
En 2007, un nouveau coup est porté au service public hospitalier avec l’introduction de la T2A, « tarification à l’activité », qui repose sur un principe discutable : l’hôpital doit être géré comme une entreprise privée et ses recettes calculées en fonction des actes qu’il accomplit. Comme on pouvait s’y attendre le système s’est très vite révélé inflationniste, alors que depuis 1994 l’assurance maladie était déjà en déficit. En conséquence, la Cour des comptes multipliait les rappels à l’ordre ces dernières années encore pour qu’au virage ambulatoire pris dans la chirurgie, corresponde une réduction du nombre de lits…
Le débat sur la pénurie de masques apparaît tout aussi frappé d’incohérences. Lorsque débute l’épidémie de H1N1 en 2009, Roselyne Bachelot, principe de précaution oblige, apporte une réponse que l’on jugera a posteriori surdimensionnée, en décrétant une campagne de vaccination obligatoire. Parallèlement, alors que depuis 2007 a été mis en place un « Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaire » (Eprus) cofinancé par l’État et l’assurance maladie, des masques « périssables » dans une durée de cinq ans, sont achetés par centaines de millions par les hôpitaux et les entreprises privées. Par la suite, un rapport assassin de la Cour des comptes épinglant la gestion de la crise sanitaire par Roselyne Bachelot, conduira les gouvernements, sous les présidences Sarkozy et Hollande, à ne pas renouveler ces stocks. Un calcul de gribouille, qui permettra à l’État et à l’assurance maladie de diviser pas dix entre 2007 et 2015 leur contribution à l’Eprus, ainsi que le déplore dès 2015 un rapport du Sénat…
Autrement dit, non seulement c’est bien volontairement que le stock des masques n’a pas été reconstitué, mais tout le monde le savait. D’où les explications embarrassées et passablement contradictoires des experts et des politiques expliquant qu’il y a pénurie. Mais que leur utilité n’est pas prouvée, ce qui laisse pantois les Asiatiques confrontés depuis longtemps aux plus graves épidémies…
Goulots d’étranglement dans la fabrication et la distribution de médicaments dans un pays où les assurés sont les premiers consommateurs du monde, cloisonnement persistant entre médecine hospitalière et médecine de ville, exigence de confort des malades s’accommodant mal des capacités financières du système, la pandémie actuelle ouvre en grand et en vrac toutes les plaies du système de soins. Elles sont anciennes, nombreuses et profondes. Une fois l’épreuve surmontée, on ne peut donc que souhaiter que les acteurs du système, avec leurs représentants et les pouvoirs publics, se mettent autour d’une table pour perfectionner un État-providence auquel tous les Français demeurent manifestement très attachés. Le 16 mars, Emmanuel Macron avait évoqué son souci de consolider cet acquis dont on voit bien, tous les soirs à 20 heures, qu’il fait l’objet d’un vrai consensus.
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